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2021-07-08 - apparition : ÉTUDE PÉBIPOLOGIQUE : les parcelles délaissées (2)
(suite de l’épisode 1)
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Le doigt de Sally Mara a donc avancé, glissé et puis il a d’un coup buté.
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Et c’est exactement là que tous les regards se sont arrêtés et ont tous convergé :
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sur la parcelle 0106.
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sur le terrain face à la parcelle 0106. Est-ce le bloc de roche ?
Second point de vue de la parcelle 0106 vue de côté, le bâtiment 89 au fond. (On voit à droite le bloc dépasser un peu).
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Toute attentive à cet apparent minuscule bout de terrain, Sally Mara se demande si d’autres avis pourraient être apportés en dehors du petit groupe constitué autour d’elle.
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Deux autres artistes, Padraic Baoghal et Miracle Smith, travaillent simultanément à l’exploration de pistes pébipologiques et se sont installé.e.s pour un temps au 89 :
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- le premier, Padraic Baoghal, développe un Atlas Martien dans lequel il répertorie des structures visibles et récurrentes dans les paysages et en dessine les fondements et les objectifs invisibles ; de la sorte il découvre que les structures et bâtiments agricoles dans les campagnes pourraient être en fait des artéfacts d’une culture extra-terrestre, passée ou en devenir : autrement dit, de la S-F rurale. Il s’est pris à remarquer une similitude flagrante entre les formes de certaines constructions agricoles et les futurs habitats extra-planétaires, toutes architectures curieuses dont les formes oblongues et géométriques côtoient les maisons et les hameaux dans nos campagnes, telles des antennes ou des articulations et constructions techniques prothétiques, et colorent avec virtuosité certains champs ou abords, ou encore, apparaissent au détour de chemins ou d’un virage, comme rescapés, brillant d’un blanc éclatant, par surprise, au-dessus des arbres et des bosquets. Il est vrai que les agriculteurs et agricultrices peuvent ressembler à des aviateurs, des aviatrices ou des astronautes en réserve. Ces architectures ont le caractère et l’aspect d’être “posés-là” ou parfois d’être “délaissés” ou bien d’être des ostracas d’un monde premier ou d’un monde second, comme peut sembler l’être le matériel spatial qu’il soit opérant ou bien encore inopérant : lorsque ce dernier dérive infiniment dans l’espace ou lorsqu’il est laissé stationnaire autour d’une planète ou d’un météore visité. Ainsi au détour de certaines routes on peut avoir l’impression d’approcher un complexe technologique ou une station orbitale dont l’emplacement et la localisation ont été choisis minutieusement pour tester telle ou telle opération future ;
- la seconde, Miracle Smith, travaille sur un Recueil/Album des Nuées et Nuages en partant d’une remarque anodine de Cézanne : “Le ciel est bleu, n’est-ce pas ? et ça, c’est Monet qui l’a trouvé. (Paul Cézanne, in R.P. Rivière et Jacques Félix Schnerb, L’Atelier de Cézanne (1905), paru dans La Grande Revue, 25 décembre 1907). Elle a donc décidé de créer un catalogue de tous les nuages et de tous les ciels, l’œil et l’appareil photographique continuellement rivé vers le haut ; bref, un travail sans fin, se dit intérieurement Sally Mara…
- Tout ce groupe d’artistes est suivi par un chercheur très étrange et discret, dénommé Michael Eichelberger, basé à l'University of Pebipological Translations. Ce dernier a rejoint depuis quelques mois et avec beaucoup d’entrain le duo curatorial Tavara Fuente Jorp & Peter Junof. Son principal travail et objectif est de commenter l’évolution des explorations de ces 4 artistes ou groupes d’artistes : les Rohmnyz, Closterwein, Baoghal et Smith. Et par ses commentaires, il tente de rabibocher les choses entre ce qui est dit et ce qui est fait. Une sorte de traducteur en quelque sorte, puisque la traduction est son domaine de compétence : c’est sa branche.
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Malheureusement Sally Mara Closterwein considère que ni Baoghal ni Smith, ni même encore Eichelberger, et encore moins le duo Rohmnyz qui de son côté était complètement obnubilé par son histoire de ouestern spinoza — comme on dit western spaghetti, western crépusculaire, western paella, mamaliga, zapata, etc. —, ne pouvaient être vraiment utiles pour élucider ce mystère de la parcelle 0106.
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Si cette parcelle est invisible c’est parce que personne ne s’en occupe ou même que personne n’en a connaissance. En piochant dans le vocabulaire juridique, Sally Mara tombe sur la notion de parcelle délaissée et d'abandon de parcelle.
- Les délaissés peuvent être des portions de bitume ou des portions de terrain qui n’ont plus de valeur immobilière tant elles sont exigües, de dimensions moindres et de superficies ridicules. Insérés parmi d’autres parcelles plus imposantes, elles ont perdu leur statut depuis longtemps, et la plupart du temps, sont tombés dans le domaine public. Ils sont plus ou moins entretenus et plus ou moins reconnaissables.
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Ce qui se vérifie pour la parcelle 0106.
- D’autres fois, ce sont les usages de voisinages qui par défaut les maintiennent et les entretiennent, tout en les intégrant souplement dans leurs propriétés. Ces délaissés sont issus d’incohérences foncières ou d’irrégularités entre le domaine public et la représentation cadastrale.
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- En prenant un second plan plus précis, Sally Mara arrive à bien discerner la parcelle à proprement dit : une sorte de carré de 2m x 2m si l’on se reporte à l’échelle. Elle se dit qu’il s’agit sans doute de l’emplacement d’un ancien transformateur.
- En étudiant de plus près la commune, elle trouve des informations plus précises encore : Le cadastre de Saint-Nazaire est constitué de 36 424 parcelles, ce qui représente une superficie totale de 42 344 917 m2. La plus grande parcelle située sur le cadastre de la commune de Saint-Nazaire mesure 607 856 m2 et la plus petite a une surface de 0,04 m2. Le plus grand bâtiment de Saint-Nazaire a une emprise au sol de 37 931 m2, alors que le plus petit ne représente que 0,01 m2.
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- Sally Mara se met à rechercher des informations sur comment accéder ou acquérir une parcelle délaissée. Il doit bien avoir des cas de tels achats et une jurisprudence attenante à ceux-ci. Sur internet, elle tombe sur une description officielle d’une pareille procédure, publiée par une petite commune du bord de Loire.
- les conditions du terrain dit “délaissé” : Le terrain ne doit pas être entretenu, il est « délaissé ». Le terrain en question ne doit pas constituer un accès à d’autres propriétés que celle du demandeur, le cas échéant.
- comment acquérir un terrain dit ou reconnu “délaissé” : Les personnes souhaitant acquérir un délaissé communal font part de leur demande par courrier papier à la mairie accompagné d’un plan cadastral et en matérialisant l’espace à acquérir.
- comment un pareil achat est-il décidé et validé ? : Chaque dossier est étudié en commission voirie. Il donne lieu à définition d’un prix de vente (qui doit être accepté par le demandeur), puis, si toutes les conditions sont réunies, il passe en enquête publique préalable. Ce type d’enquête a lieu en moyenne tous les deux ans.
- En général les parcelles “délaissées” ou acquises par des collectivités suite à des “abandons de parcelles”, concernent les terres vaines et vagues, les landes et bruyères et les terrains habituellement inondés ou dévastés par les eaux. Ainsi, excepté les parcelles inondables, seules des parcelles de terre non cultivables en raison de la pauvreté de leur fond et susceptibles de rester vides de toute construction peuvent être abandonnées à une collectivité. En conséquence, des terrains comportant un aménagement particulier de nature à les rendre propres à un usage agricole, industriel, commercial ou à des fins d’habitation ne peuvent faire l’objet d’un abandon. Il en va de même pour une parcelle cultivable mais laissée en nature de friche depuis plusieurs années, le sol de celle-ci pouvant être rendu productif à tout instant. (Source : Sénat et autre question)
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Tout l’intérêt de Sally Mara Closterwein porté sur l’achat de telles parcelles, les délaissés communaux, à bas prix, est de les destiner et de les nommer espaces artistiques. Elle voit bien qu’une telle action serait une réponse propice aux développements des politiques culturelles (prescriptrices et pourvoyeuses) vis-à-vis de l’art dans l’espace public. À ce sujet les malentendus persistent, et l’apparition de l’art dans les espaces publics est toujours calculé à l’aune de sa visibilité, de son accessibilité et de son caractère monumental. L’art en plein air ne saurait être que monumental (un objet bien en vue).
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Sally Mara a certainement un raisonnement inverse : elle milite pour un art clignotant, irrégulier, effacé voire même invisible, c’est-à-dire qui dialogue et qui sans cesse est en interaction avec les contextes (que ces derniers soient existants ou construits ad hoc).
De la sorte, notre capacité imaginative et langagière (utile lorsqu’on plonge dans le non-langage, ce à quoi se réfère tout art) est largement mise à contribution : tout un chacun et chacune crée les œuvres, les mobilise en lui- et elle-même. Ainsi on peut reprendre d’une manière concrète Spinoza et ses questions sur l’extériorité et l’intériorité.
Ces parcelles délaissées de nouveau acquises redeviennent des espaces potentiels et sont repérées comme des terrains artistiques : des espaces dans lesquels tout peut arriver, bien loin des prescriptions et des commissions. De véritables terrains expérimentaux. Leur exigüité ajouterait du piment et permettrait aux artistes de travailler sur des formes moins standardisées et normées : nous redémarrerions sur des inventions de formes, d’aspects, de temporalités, de matérialités, d’immatérialités, etc.
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Note : En fouillant dans les archives et les documentations en ligne, Sally Mara est tombée sur une annonce des plus curieuses :
- “this decommissioned underground missile complex in arizona could be your next home”
“ce complexe de missiles souterrain désaffecté en Arizona pourrait être votre prochaine maison”.- “Vous avez toujours voulu acheter votre propre complexe de missiles souterrains désaffecté ? Eh bien, cela pourrait être votre jour de chance. “Titan II”, qui était autrefois une propriété gouvernementale top secret, a été mise en vente. Située entre les villes de Phoenix et Tucson en Arizona, la propriété est située sur une parcelle de terrain qui s’étend sur plus de 12 acres (près de 50000m2). Alors que le paysage environnant s’étend à perte de vue, ce qu’il y a sous terre est une autre affaire. Le complexe de missile est un labyrinthe de pièces connectées, toutes plus curieuses les unes que les autres.”
- https://www.designboom.com/architecture/decommissioned-underground-missile-complex-arizona-titan-ii-11-28-2019/
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Les parcelles délaissées, un projet de Sally Mara Closterwein dans le cadre de La Pébipologie
- épisode 1 : la parcelle 0106
- épisode 2 : des espaces artistiques
- épisode 3 : Matta-Clark, Real Properties Fake Estates
- épisode 4 : Maciunas, Haacke
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