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2021-07-07 - apparition : ÉTUDE PÉBIPOLOGIQUE : ouestern P (2)
Le Ouestern du P
par Vitara et John Rohmnyz, artistes participant.e.s à La Pébipologie.
Les deux, puis trois puis quatre chevaux en liberté sur le terre-plein du P.
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Le Ouestern de Spinoza
par Vitara et John Rohmnyz, artistes participant.e.s à La Pébipologie.
V. & J. Rohmnyz ont construit une hypothèse : celle de la visite de Spinoza sur le site du P, renforcée par l’idée que cette visite pouvait prendre l’allure d’un ouestern, c’est-à-dire d’une aventure rocambolesque dans une région méconnue et plutôt déserte située au ponant sur une côte occidentale au littoral magique.
Pour ce faire, le duo utilise le principe du cover : autrement dit de la reprise, et là précisément il s’agit de la reprise du philosophe Baruch Spinoza ré-inséré à notre époque en prenant celui-ci comme protagoniste d’une expérience optique et de randonneur hobo, tout en mettant en correspondance avec une autre et seconde hypothèse : celle que son métier de polisseur de lentilles, donc d’instruments de vision et d’illusion, a interagi avec son engagement de philosophe. Rappelons-nous qu’il écrivit aussi un Traité de l’arc-en-ciel (Stelkonstige Reeckening van den Regenboog), mais ne s’était jamais attablé pour développer un Traité des chutes d’eau (les Rohmnyz étaient persuadé.e.s qu’une telle initiative l’aurait intéressé).
Une coïncidence a ensuite primé dans la construction d’un tel récit : celle de la présence de la famille de Spinoza à la fin du XVIe siècle à Nantes à quelques kilomètres de Saint-Nazaire, laissant imaginer ce qui se serait passé si sa famille était restée à Nantes au lieu de fuir aux Pays-Bas, pays qui deviendra un peu plus tard au XVIIe siècle (en 1632) celui de la naissance de Spinoza.
Étonnamment beaucoup de choses ont collé très vite durant l’application du procédé narratif et imaginaire, comme si les deux histoires, celle de western/ouestern/ouesssterne et l’autre, plus établie et bien évidemment davantage connue, du philosophe polisseur de verres étaient faites pour se rencontrer et se croiser, sans qu’il y ait à forcer quoi que ce soit. Faire se déplacer le philosophe Spinoza dans un décor de ouestern a été finalement assez aisé (toute nécessité comprise) [voir note de bas de page 1] ; Spinoza ayant eu évidemment envie de construire un dispositif plus grand avec des lentilles, tel un télescope, pour lequel il lui fallait bien trouver un terrain adéquat : ce ne pouvait être que le P. Et en effet, entre 1664 et 1666 Spinoza entretenait une correspondance avec Huygens : « Huygens m’a raconté des choses étonnantes […] sur des télescopes de fabrication italienne au moyen desquels on a pu observer des éclipses causées dans Jupiter par l’interposition de ses satellites et aussi une ombre qui semble projetée sur Saturne par un anneau » (lettre XXVI) (En mars 1655 , les frères Huygens avait achevé le montage de leur premier télescope).
Le philosophe allemand Ludwig Feuerbach (1804-1872), privat-docent et fomenteur de fortes “Pensées sur la mort et l’immortalité” qu’il publia anonymement, ira même jusqu’à dire à propos de Spinoza : « la philosophie de Spinoza est un télescope, qui met à la portée de l’œil les objets invisibles à l’homme en raison de leur éloignement ».
Spinoza complètera :
- « La beauté, Monsieur, n’est pas tant une qualité de l’objet considéré qu’un effet se produisant en celui qui le considère. Si nos yeux étaient plus forts ou plus faibles, si la complexion de notre corps était autre, les choses qui nous semblent belles nous paraîtraient laides et celles qui nous semblent laides deviendraient belles. La plus belle main vue au microscope paraîtra horrible. » (Spinoza, Lettre à Hugo Boxel, octobre 1674).
Il dira aussi et poursuivra tout en enfonçant le clou :
- « Ne pas tourner en dérision les actions des hommes, ne pas les déplorer ni les maudire, mais les comprendre. »
- « Si les hommes étaient sages, il n’y aurait pas besoin d’État. »
On pourrait ainsi faire rejoindre, en un tour de main, Spinoza et John Dewey, car effectivement la sagesse s’apprenant (école) et s’actant (les actions plutôt que de laisser faire les passions), alors il s’agirait pour nous de défendre les lieux-laboratoires et les écoles-laboratoires dans lesquels on fait et pratique.
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Mais allons voir maintenant ce qu’il en est vraiment de cette histoire…
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- [notes de bas de page]
- (note 1) : Merci à Stéphanie qui m’a fait approché la nécessité comprise : Les hommes ont conscience de leurs désirs mais le plus souvent sont ignorants des causes qui les déterminent. La liberté ne consiste pas dans la faculté de décider de manière arbitraire (ce qu’on appelle le libre arbitre) mais dans une « libre nécessité », une nécessité comprise et assumée de l’intérieur. L’homme est ainsi d’autant plus libre qu’il comprend les déterminations dont il est l’objet.
- Plus l’homme connaît (comprend, se déroute, creuse, se perd : ce qui demande un effort, une nécessité à aller plus loin qu’habituellement), plus il est libre. Seule la connaissance peut tirer les hommes de leurs erreurs et leur enseigner à maîtriser leurs passions, seule elle « est utile à la vie sociale en tant qu’elle enseigne à ne haïr personne » et aussi « en tant qu’elle nous apprend dans quelles conditions les citoyens doivent être gouvernés et dirigés afin de n’être pas esclaves, mais de pouvoir accomplir librement les actions les meilleures ». Spinoza définit la liberté en opposant liberté & contrainte, et en associant liberté & nécessité. La liberté se situe dans « la libre nécessité ».
- Mais descendons aux choses créées qui sont toutes déterminées par des causes extérieures à exister et à agir d’une certaine façon déterminée. Pour rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple : une pierre par exemple reçoit d’une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvement et, l’impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement. Cette persistance de la pierre dans le mouvement est une contrainte, non parce qu’elle est nécessaire, mais parce qu’elle doit être définie par l’impulsion d’une cause extérieure. Et ce qui est vrai de la pierre il faut l’entendre de toute chose singulière, quelle que soit la complexité qu’il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause extérieure à exister et à agir d’une certaine manière déterminée. Concevez maintenant, si vous le voulez bien, que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, pense et sache qu’elle fait effort, autant qu’elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément, puisqu’elle a conscience de son effort seulement et qu’elle n’est en aucune façon indifférente, croira qu’elle est très libre et qu’elle ne persévère dans son mouvement que parce qu’elle le veut. Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. (Baruch Spinoza, Lettre à Schuller [1674], lettre LVIII, trad. du latin par Ch. Appuhn, dans Œuvres, vol. IV, GF Flammarion, 1966, p. 303-304)
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Paulus Potter, The Piebald Horse, vers 1650-4.
Cornelis Huysmans (1648-1727), Paysage avec personnages, Caen, Musée des Beaux-Arts.
Gerard ter Borch (1617-1681), Cavalier vu de dos, 1634. Musée des Beaux-Arts de Boston.
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- …retour sur le P…
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- partie 1 : Inutile randonnée
- partie 2 : Le Ouestern du P ; Le Ouestern de Spinoza
- partie 3 : Partie du Récit Ouestern de Spinoza
- partie 4 : Spinoza et les images
- partie 5 : Warhol ouestern
- partie 6 : L’art et le ouestern
- partie 7 : Le ouestern filmé : les protagonistes
- partie 8 : Le ouestern filmé : des hypothèses
- partie 9 : Le ouestern en cavalcade : le manège
- partie 10 : Réaction à Spinoza : No Western without a Horse, par Boris Grisot — (ép. 1) — (ép. 2) — (ép. 3, vidéo)
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