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2021-06-01 - apparition : ça projète au 105 : l'ultime maison artistique (9-1) : ÉTUDE PÉBIPOLOGIQUE : Gordon Matta-Clark : anarchitecture
Gordon Matta-Clark (1943-1978) :
- L’Anarchitecture
- Anarchitecture, l’exposition (1974)
- citations
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« Quand je détruis et déconstruit un bâtiment ou un édifice, je m’exprime contre de multiples aspects de la condition sociale : premièrement, j’ouvre un espace clos non seulement conditionné par nécessité mais également préconditionné par l’industrie qui inonde les villes et les banlieues de boîtes habitacles dans le but inavoué de s’assurer le concours d’un consommateur passif et isolé, et donc d’un public pratiquement et potentiellement captif. […] Je m’élève contre une situation de moins en moins supportable, où triomphent le repli sur soi, la propriété privée et l’isolement. » (Gordon Matta-Clark, “Les découpes de Gordon Matta-Clark”, entretien réalisé par Donald Wall, mai 1976)
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L’Anarchitecture
- L’anarchitecture est cette discipline prônant l’absence (préfixe an-) de l’ordre architectural, de l’urbanisme et des politiques foncières qui les accompagnent en soutenant une considération de l’espace où s’épandent les richesses de chaque situation et l’autonomie du lieu vis-à-vis de la notion de propriété. (Simeon Gonnet, Gordon Matta-Clark anarchitecte, Mémoire École Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand, 2019-2020, p.11)
Anarchitecture group, Anarchitecture drawing. 1974. (33 jeux de mots à partir du terme Anarchitecture). Initié par Gordon Matta-Clark, le terme avait été utilisé préalablement par l’architecte et théoricien Robin Evans dans son article “Towards Anarchitecture,”, dans AA Quarterly (1970) pp.58-69.
ANARCHITECTURE ————
TRAVAILLER DANS PLUSIEURS DIMEN[S]IONS
FAIRE DES DISCUSSIONS L’ÉVÉNEMENT
ET LE TRAVAIL. - LE GARDER [TEL]
UN PROCESSUS OUVERT EN COURS. NE PAS
FINIR JUSTE CONTINUER
ET COMMENCER [ET] RECOMMENCER.
Gordon Matta-Clark, note cards, 1973-74.
OBJET — DÉTERMINEZ L’ESPACE QU’ILS OCCUPENT — OBJET CONTENANT DE L’ESPACE ET L’ESPACE COMME OBJET - CHAQUE ESPACE A SES LIMITES ACOUSTIQUES.
L’ANARCHITECTURE N’ESSAIE DE RÉSOUDRE AUCUN PROBLÈME MAIS TENTE DE SE RÉJOUIR PAR UNE CÉLÉBRATION INFORMÉE ET BIEN INTENTIONNÉE DES CONDITIONS QUI DÉCRIVENT ET LOCALISENT LE MIEUX POSSIBLE UN LIEU.
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Au lieu de restaurer, de construire ou d’ajouter de nouveaux éléments ou de nouvelles formes à l’architecture déjà existante, Gordon Matta Clark propose au contraire de s’attaquer aux cycles de consommation et de production qui se sont développés.
- “Le fait qu’on dirait que toute l’expérience artistique et architecturale soit de l’ordre du cosmétique est sans conteste l’une des motivations qui ont été à l’initiative de mon œuvre : on n’arrête pas d’appliquer couche sur couche de cosmétiques, et on veut nous faire croire que c’est cela la véritable substance de ce qu’est l’espace, de ce qu’est un immeuble." (Gordon Matta-Clark)
Avec d’autres artistes engagé.e.s dont Laurie Anderson et Richard Nonas (exposition Anarchitecture en 1974 au 112 Greene Street de New York, voir plus bas), Gordon Matta-Clark interpelle sur les risques d’abandon du citoyen dans ces visions de transformations urbaines rapides dictées par une recherche de sécurité et de salubrité. Une préoccupation qui anticipe la gentrification unilatérale des grandes métropoles d’aujourd’hui. Son ambition est de restituer l’espace à ses usagers à travers des projets d’intégration sociale (comme à titre d’exemples les projets (non réalisés) d’un centre d’art dans le sud du Bronx conçu avec Alanna Heiss, Robert Rauschenberg et Robert Morris [référence], et, projet que nous avons décrit dans les pages précédentes, d’un centre de ressources et programme environnemental pour la jeunesse [image 1] [image 2] (Site for Resource Center and Environmental Youth Program for Loisaida, Lower East Side, Manhattan, NYC, 1977 with a 1977’s John Simon Guggenheim Memorial Fellowship). Ces terrains délaissés doivent être source de créations, de jeux et d’échanges.
(Sources : Alexandra Fau ; Cara Jordan, Directing Energy: Gordon Matta-Clark’s Pursuit of Social Sculpture) (Voir également notre article sur les parcelles délaissées)
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Les “déconstructions” de Matta Clark, elles, laissent apparaître le découpage, le déchiquetage, le bord brut des entailles. Il ne s’agit pas de cosmétique, de maquillage comme l’imposent les constructions modernes, mais d’histoire, de temps et de mémoire. Paradoxalement, cette déconstruction peut quand même être considérée comme une forme d’architecture, car l’effet produit par le déchiquetage ou la découpe dans les bâtiments contribue à donner de la valeur au site ou à le protéger.
- « Ce que la découpe a fait, c’est de rendre, l’espace plus articulé, mais l’identité de la maison en tant que lieu, en tant qu’objet, est quant à elle fortement préservée et mise en valeur." (Gordon Matta-Clark)
- « La première chose que l’on remarque, c’est qu’il y a eu violence. Ensuite, la violence se transforme en ordre visuel et, espérons-le, en un sentiment de conscience accrue… Vous voyez que la lumière pénètre dans des endroits qu’elle ne pourrait pas atteindre autrement. Les angles et les profondeurs peuvent être perçus là où ils auraient dû être cachés. Des espaces sont disponibles pour se déplacer qui étaient auparavant inaccessibles… Mon espoir est que le dynamisme de l’action puisse être vu comme un vocabulaire alternatif pour interroger l’environnement statique et inerte du bâtiment. » (Gordon Matta-Clark, interview par Donald Wall, 1977)
(Source : http://www.revoirfoto.com/p/?pg=61&c=13&lg) (Source : https://latimesblogs.latimes.com/jacketcopy/2011/07/the-reading-life-gordon-matta-clark.html)
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L’anarchitecture désigne ce processus de mise en déséquilibre de l’espace-temps perceptif. Pionnier de cette démarche, Gordon Matta-Clark avait une perspective sociopolitique affirmée, visant le cadre des modes de production de notre espace bâti, jusqu’à l’agit-prop aux accents situationnistes, avec ses « trous » et découpes. (Olivier Ratsi, 2011)
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- « Il ne s’agissait pas seulement de faire les œuvres témoignant d’une attitude différente vis-à-vis des bâtiments ou des comportements qui déterminent habituellement le cloisonnement de l’espace utilisable… Lorsque vous vivez dans une ville, dans un certain sens tout le tissu est architectural. Nous pensions davantage à des vides métaphoriques, aux trous, aux lacunes, des espaces restants et laissés à l’abandon, des endroits qui n’étaient pas encore développés. » (Gordon Matta-Clark à propos du “groupe” Anarchitecture, interview par Liza Béar du magazine Avalanche en 1974)
En 2019, Luis Croquer, conservateur en chef du Rose Art Museum de la Brandeis University à Waltham, Massachusetts, déclare : « Gordon Matta-Clark est l’un de ces artistes emblématiques pour le fait qu’il n’appartient à aucune catégorie. Certaines personnes disent que c’est conceptuel - je ne pense pas que ce soit purement conceptuel. Certains disent que c’est minimal - ce n’est pas purement minimalisme. Ce n’est pas de l’architecture. Certaines personnes l’ont lu en termes très poétiques. Je pense que sa pratique est très hybride et très réactive à la ville, très réactive aux personnes et au temps. Ce qu’il faisait, c’était essayer de comprendre comment l’art pouvait être un outil de changement et comment il pouvait démanteler essentiellement une partie du vocabulaire qui existait auparavant dans l’architecture et dans les arts aussi. » En d’autres termes, Matta-Clark croyait en la « destruction créatrice ».
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Anarchitecture, l’exposition
Matta-Clark fonde, avec d’autres artistes (musicien.ne.s, danseur.se.s, vidéaste.s, performeur.se.s, sculpteur.e, architecte, photographes), le groupe Anarchitecture : Anarchitecture, exhibition, 1974, Anarchitecture Group, 112 Greene St., March 9-21, avec Tina Girouard, Bernard Kirschenbaum, Carol Goodden, Jene Highstein, Richard Landry [2], Richard Nonas, Laurie Anderson et Gordon Matta-Clark (et également Joel Fisher, Max Neuhaus, Alain Saret) (voir la liste complète ici dans la lettre envoyée par Gordon Matta-Clark à Robert Lendenfrost du World Trade Center en 1975).
L’idée est de valoriser dans ses travaux les vides urbains, les béances, les espaces abandonnés et les lieux qui ne sont pas urbanisés. « Par exemple les endroits où on s’arrête pour lacer ses chaussures, les endroits qui sont seulement des interruptions de nos mouvements quotidiens », écrit-il.
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Un projet anarchitectural entre deux lilas d’été par quatre araignées de jardin acrobatiques, Indian Bayou.
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Une exposition est ouverte sur cet aspect en 1974, impliquant une réflexion sur la maison et sur l’habitat. Tout cet effort de réinvention de l’architecture est en réalité dirigé contre Le Corbusier : la maison ne saurait être une « machine à habiter », elle doit d’abord être une réponse aux habitats précaires. Ainsi va la transformation d’un caddie en maison sur roues, voire la construction de différentes cabanes en carton. L’architecture se fait tactique d’aménagement pour marginaux et sans abris.
Les vingt-neuf photographies et dessins - certains par les artistes participant.e.s, d’autres tirés des archives de journaux, et tous uniformément de la même taille et suspendus de manière anonyme - semblent provenir en grande partie d’une idée originale de Matta-Clark, ces éléments étant rassemblés sous la forme d’une exposition pour combler une période de vacance dans le calendrier de la galerie.
Une sélection d’images tirées de l’exposition Anarchitecture fut publiée quelques mois plus tard dans Flash Art Magazine en juin 1974. Ci-dessus : Richard Landry et Laurie Anderson.
Les deux autres images encore au-dessus montrent comment des situations photographiées (des photos trouvées) peuvent donner l’apparence d’un “objet” existant et suggérer de nouvelles utilisations spontanées, à la manière dont le wagon d’un train accidenté devient soudainement un pont dans la photographie incluse dans l’exposition Anarchitecture. De même l’utilisation d’écriture manuscrite montre l’importance du langage dans le travail mené en collectif. Ci-dessous : une double-page de l’article publié dans Flash Art Magazine.
Laurie Anderson, Anarchitecture : the crystal cue, 1974 :
La preuve par le crystal
C’est une nuit froide et sombre en 1450. Leone Battista Alberti, qui n’était pas encore devenu un architecte célèbre, garde ses moutons. C’est l’hiver. Alberti tient un plan vierge entre ses mains. Petit à petit, il commence à neiger. Les flocons blancs atterrissent sur le plan sombre. “La révélation divine !” crie Alberti. “Une église à plan centré !"
Ce collage (anonyme mais généralement attribué à Highstein ou à Laurie Anderson) décrit Leon Battista Alberti - l’incarnation du génie architectural de la Renaissance - concevant une basilique par hasard ou à l’aide du hasard en découvrant l’organisation centripète de la forme crystalline d’un flocon de neige qui s’est déposé sur sa feuille tenue entre ses mains.
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Certaines de ces images font vraiment penser à celles crées dans le cadre de La Pépibologie dans lesquelles des prises de vues (réalisées ou de photos trouvées, comme cela l’est pour l’exposition Anarchitecture) associées à des légendes posent des situations extravagantes ou humoristiques, ou encore provenant d’élucubrations et de photomontages.
The Horizon she is just out to reach (L’horizon qu’elle est en train d’atteindre)
An accidental crossing on the moon (un croisement accidentel sur la lune)
George Washington slept here (George Washington a dormi ici)
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traduction : faire la bonne coupe à un point situé entre le soutien et l’effondrement.
(Laurie Anderson, à gauche)
Lire l’interview de Laurie Anderson à propos de Gordon Matta-Clark et de l’anarchitecture… (jpg, version anglaise et française).
le groupe Anarchitecture, sessions de travail, les dominos, et les notes cards sur la table. (Merci à Mark Wigley).
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- référence : Rosalind Krauss, Sculpture in the expanded field, 1979, consultez le pdf.
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Citations
- « Je m’élève contre une situation de moins en moins supportable, où triomphent le repli sur soi, la propriété privée et l’isolement. » (Gordon Matta-Clark)
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Travailler avec les constructions sans construire à l’intérieur de la structure entre les murs
Décapiter les toits, composer et extraire les infra-structures
Rehausser les structures internes par l’extraction, le déplacement et les altérations
Mouvoir aux points spécifiques de tension
Ouvrir les espaces pour redistribuer la matière
L’ambigüité du lieu vs l’objet
Travailler avec l’absence
L’ensemble de la maison travaille pour recevoir une intrusion.
Je préfère traverser que passer sur - chaque surface -.
Le souvenir de la concrétude et de l’espace au sein de l’intérieur émerge alors. L’architecture devient l’anarchitecture.
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TREES ARE FOR THE BIRDS
FENCES … … … …
FENCES AND BIRDS MAKE TREES
PEOPLE LIVE IN DEAD TREES
BIRDS LIVE IN LIVE TREES
LES ARBRES SONT POUR LES OISEAUX
LES CLÔTURES SONT POUR LES OISEAUX
LES CLÔTURES ET LES OISEAUX FONT DES ARBRES
LES GENS VIVENT DANS DES ARBRES MORTS
LES OISEAUX VIVENT DANS DES ARBRES VIVANTS
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Vidéo présentation de Gordon Matta-Clark à l’occasion de l’exposition rétrospective au Jeu de Paume, à Paris en 2018.
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- —menu projet maison 105—
- (1) la maison 105
- (2) la maison 105 : tapie Clémence photographie
- (3) la maison 105 : manifeste
- (4) des maisons artistiques : maison féministe
- (5) d’autres maisons artistiques : maison mirages, maisons rivages, maisons passages
- (6) ultime maison artistique : Gordon Matta-Clark : la maison découpée et anarchitecturée
- (7-1) ultime maison artistique : Gordon Matta-Clark : trouer…
- (7-2) ultime maison artistique : Gordon Matta-Clark : …et buter
- (8) ultime maison artistique : Gordon Matta-Clark : les découpes et les murals
- (9-1) ultime maison artistique : Gordon Matta-Clark : anarchitecture
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- Catalogue des histoires pébipologiques :
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