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2021-06-01 - apparition : ça projète au 105 : l'ultime maison artistique (7-1) : ÉTUDE PÉBIPOLOGIQUE : Gordon Matta-Clark : trouer...
Gordon Matta-Clark (1943-1978) :
- citations : ouvrir un espace clos, créer des passages
Gordon Matta-Clark troue :
- Cherry-Tree (1971)
- Time Well (1971)
- Descending Steps for Batan (1977)
- citations : the hole in art
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Ainsi de mars à juin 1974, avec Splitting, Matta-Clark a donc coupé en deux à la scie une maison du New Jersey destinée à être démolie. Il l’a transformée en un environnement sculptural temporaire. Et en abaissant de surcroît la fondation de la partie arrière de la maison il a ouvert un espace entre les deux moitiés montrant ainsi la série en tranches des pièces intérieures de la maison. Cette ouverture adéquate a permis d’introduire de la lumière et de l’air dans les espaces exigus devenus d’un coup débarrassés : Splitting. Cette découpe est plus que simplement physique, matérielle, technique et architecturale : elle implique à la fois une rupture du tissu homogène de l’espace domestique et une forme de libération explicite vis-à-vis de l’isolement suburbain et individuel.
On dira que Gordon Matta Clark tente un pied de nez aux plus élémentaires des contraintes de l’architecture : la gravité et l’isolation ; il propose de les étudier et de les expérimenter de manière différente ; et cela en fragilisant, par une critique espiègle et un élan radical de réappropriation à la fois individuelle et collective, les enjeux contemporains de la fabrication et de l’édification urbaines comme également les enjeux de la valorisation immobilière qui y sont liés tout en dénonçant fortement l’exclusion que ces enjeux provoquent et génèrent.
Citons cette remarque on ne peut plus précise de Léon Mychkine que l’on trouve dans son article à propos de l’exposition Gordon Matta-Clark au Musée du Jeu de Paume en 2018 : “Ainsi donc, quand on pense spécialement à ce type de travail propre à Matta-Clark, ce travail qui précède l’œuvre, nous sommes dans le gros-(dés)œuvre. Le “gros-œuvre”, on le sait, signifie l’ossature du bâtiment, les murs portants, les paliers, les escaliers, le toit, etc.; tandis que le “second-œuvre” signifie la décoration. Pour faire œuvre, Matta-Clark dés-œuvre; il modifie, fend, troue, casse ce qui n’était pas, au départ, une œuvre; et ce me semble très important de bien retenir ce fait : Matta-Clark “fait” de l’art avec quelque chose qui a été conçu en dehors de toute considération artistique — si l’on part du principe, assez évident, que Matta-Clark ne s’est jamais attaqué à des architectures artistiques, mais plutôt complètement fonctionnelles et dénuées de toute personnalité.”
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« Je restructure les bâtiments, pour expliquer et défendre la nécessité d’un changement […] des bâtiments abandonnés par un système qui ne s’en soucie pas, pour lequel l’utilisation et le but de la propriété sont uniquement une fin en soi […] Je propose de transformer une de ces tristes bâtisses industrielles en une forme libérée […] en pratiquant une coupe dans les murs, pour donner l’idée d’un passage libre, un passage large qui n’est ni une porte, ni un arc monumental, mais une sorte de cadre sans limites. » (Gordon Matta-Clark, ‘Proposal to the workers of Sesto San Giovanni’, Milan, 1975, Catalogue d’exposition Musée National Centre d’Art Reina Sofia, Editions Poligrafa Barcelone)
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« Nous vivons tous dans une ville…[…] dont le tissu est architectural… où la propriété est omniprésente. […] Quand je détruis et déconstruit un bâtiment ou un édifice […] j’ouvre un espace clos non seulement conditionné par nécessité mais également préconditionné par l’industrie qui inonde les villes et les banlieues de boîtes habitacles dans le but inavoué de s’assurer le concours d’un consommateur passif et isolé […]. » (Gordon Matta-Clark, entretien réalisé par Donald Wall, mai 1976)
Le travail de Gordon Matta-Clark érige moins qu’il entrouvre : interstices et béances, trouées, ouvertures et trous.
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Parked Islands Barges on the Hudson
Gordon Matta-Clark avec Harry Shunk et János Kender," Parked Island Barges on the Hudson" (1971), durant l’événement “Projects : Pier 18” organisé par Willoughby Sharp en février 1971. (voir la présentation de ce projet). Lors de cette action, Gordon Matta-Clark creuse dans un amoncellement qu’il a réalisé avec tous les déchets environnants afin de planter un arbre.
Photographie prise à Paris par Gordon Matta-Clark.
Photographie prise aux USA par Gordon Matta-Clark.
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Gordon Matta-Clark troue
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Cherry Tree
Une de ses premières tentatives en 1971 dans l’espace alternatif du 112 Greene Street à New York, et aux prémices du développement des mouvements punks et du street-art à New York qu’annoncent ce type de lieu, fut celle, pébipologique avant l’heure ou bien à rebours, de creuser un trou dans le sous-sol du bâtiment.
- “J’ai creusé un trou profond dans la cave du 112 Greene Street mais je ne suis pas du tout arrivé à réaliser ce que je voulais. Je voulais creuser suffisamment profondément pour qu’on puisse voir les fondations de l’immeuble, les espaces “déplacés” sous les fondations et libérer les énormes forces qu’il comprime et qui l’emprisonnent, tout simplement en creusant un trou. Arriver à passer librement sous une zone jusque-là complètement dominée par la contrainte gravitationnelle, cela aurait été formidable !" (Gordon Matta Clark, Entretien par Donald Wall, mai 1976)
Il s’agirait en quelque sorte d’une expérience géologique et spéléologique (on suppose que lors de ces excavations et de ces explorations il utilise tout l’attirail approprié).
Édifier passe par creuser et mettre au jour des fondations.
Le trou creusé, une butte apparaît.
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Gordon Matta-Clark, “Cherry-Tree”, 112 Greene Street, 1971.
Sans avoir réussi à libérer les fondations de l’édifice, il propose alors de contaminer l’espace organiquement et biographiquement, permettant de faire l’association entre pratiques artistiques, pratiques individuelles et collectives, et pratiques culinaires, comme on le verra ci-dessous et un peu plus tard.
Dans la fosse bien entamée de la cave du 112, et alors que l’emplacement est au sous-sol du bâtiment, le 1er janvier 1971, il plante un cerisier. Sur le tas de terre excavé lors de cette première expérience, Gordon Matta Clark plante et cultive également du gazon puis des champignons à l’aide de lampes à sodium.
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Time Well
Le cerisier meurt quelques trois mois plus tard. Poursuivant le processus, Matta-Clark décide de réaliser une autre pièce : Time Well (Puits de temps). Il installe alors un regard exactement à la place où se trouvait le cerisier. Il place ensuite dans le regard une bouteille avec les restes du cerisier, “quelques noyaux de cerises laissés en fermentation pour une éventuelle consommation” ("fermenting cherry pits for eventual consumption"), et ferme le tout avec une plaque de métal et du béton, créant de manière analogique une tombe.
Gordon Matta-Clark, “Time Well”, 112 Greene Street, 1971.
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Descending Steps for Batan
En 1977 à Paris, il réitérera cette action de creuser un trou dans le sol avec Descending Steps for Batan :
Gordon Matta-Clark, “Descending Steps for Batan”, Galerie Yvon Lambert, Paris, 1977. Crédits photographiques : Harry Gruyaert / Magnum Photos. En hommage à son frère jumeau defenestré, Gordon Matta Clark creuse le sol de la Galerie Yvon Lambert sous la forme d’une sorte de puits avec des marches, puits dans lequel il creusera chaque jour, de l’ouverture jusqu’à la fin de l’exposition.
Cette œuvre de Matta-Clark est un hommage à son frère, Descending steps for Batan, 1977. Batan était le surnom de son frère. En 1976, le frère jumeau de Gordon, Sebastian Matta, meurt en se défenestrant du loft que Gordon occupe à SoHo. Au sein de la galerie Yvon Lambert, il creuse le sol pour atteindre d’abord la cave, puis il continue plus bas encore creusant pour atteindre les profondeurs du sol parisien (rappelant une autre série photographique, Sous-Sols de Paris (Paris Underground), concernant ses explorations l’année précédente des sous-sols parisiens, catacombes, cave à vins, crypte, fondations de l’Opéra, etc.). De la chute mortelle de son jumeau, il récrée un chemin vers le bas où il tente de le retrouver dans les entrailles de la terre. Descend-il en enfer ? Il creuse dans le sol, et ce travail physique est son deuil, dont il fait une œuvre.
Photographies de Gordon Matta-Clark pour “Sous-Sol de Paris” (Paris Underground), 1976-1977.
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the hole in art
On retrouve dans les carnets de notes et de dessins de Gordon Matta-Clark cette réflexion et intuition de la fonction et de la nécessité de faire des “trous” = “the hole in art”. On trouve dans le titre d’une de ses œuvres, “A W-Hole House” (1973 à Gênes), une des clés via le jeu avec la langue et les mots : a “hole in art” (un trou dans l’art) peut être aussi ou tout autant the “w-hole in art” (le tout dans l’art). (référence : Stephen Walker, Major and minor architectural issues in the work of Gordon Matta-Clark, juin 2008)
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project for six houses in a row
Gordon Matta-Clark, “Projet pour six habitations alignées”, Houston, 1975 (In a letter to Marilyn Lubetkin at the Contemporary Arts Museum, Houston, from New York, May 15, 1975). (référence 1 - référence 2)
Documentation : visionnez la lettre de Gordon Matta-Clark à Marilyn Lubetkin, 15 mai 1975
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gordon matta-clark & gh hovagimyan
Gordon Matta-Clark et GH Hovagymian durant “Conical Intersect”, Paris, 1975. Dialogue (original en français) transcrit à partir d’une copie restaurée du film officiel “Conical Intersect”, 1975. (à suivre ici)
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(Références :)
- (Source : https://www.cca.qc.ca/fr/archives/370196/collection-gordon-matta-clark/368173/gordon-matta-clarks-notebooks-sketchbooks-address-books-and-artists-books/378227/notebooks-and-sketchbooks)
- (Source : https://www.davidzwirner.com/exhibitions/2018/gordon-matta-clark-0)
- (Source : Frances Richard, “Spacism,” Places Journal, March 2019. https://doi.org/10.22269/190305)
- (Source : Gerard Hovagimyan, Gordon Matta-Clark: A Remembrance, https://www.academia.edu/6408483/Gordon_Matta_Clark_A_Remembrance)
- (Source : Stephen Walker, Major and minor architectural issues in the work of Gordon Matta-Clark, juin 2008, https://etheses.whiterose.ac.uk/6103/1/489077.pdf)
- (Source : http://www.lafuriaumana.it/index.php/62-archive/lfu-29/609-toni-d-angela-gordon-matta-clark-e-la-part-maudite-poetica-del-dispendio-politica-della-dispersione)
- (Source : https://oa.upm.es/41039/1/JOSE_ANTONIO_TALLON_IGLESIAS.pdf)
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- (10-2) ultime maison artistique : Gordon Matta-Clark : liste de références
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