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2021-06-01 - apparition : ça projète au 105 : d'autres maisons artistiques (4) : ÉTUDE PÉBIPOLOGIQUE : Judy Chicago, Miriam Shapiro : maison féministe
Womanhouse (Judy Chicago, Miriam Schapiro), 1972 :
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En 2013, Beatriz Preciado écrit une présentation précise de ce projet mené par Judy Chicago et Miriam Shapiro :
- « Dans la Womanhouse, c’est l’espace domestique en tant que tel, historiquement naturalisé comme “féminin”, qui est transformé en objet de la critique et de l’expérimentation artistique. Le foyer hétérosexuel, espace disciplinaire privatisé, se voit ainsi politisé et dénaturalisé à travers le langage, la peinture, l’installation ou la performance. Ce processus de recherche commence en 1969 à Fresno State College (aujourd’hui California State University) lorsque, en réponse à l’exclusion des femmes des lieux de production de savoir à l’université et des circuits expositifs d’art, Judy Chicago s’éloigne de l’art abstrait et organise le premier cours d’art et féminisme en dehors des bâtiments de l’école d’art. Dans le désormais mythique « Kitchen consciousness group » Judy Chicago met en pratique avec Kathie Sarachild un dispositif d’apprentissage collectif à travers la parole et la théâtralisation de l’exclusion. Le langage prend la place que la peinture avait et la performance vient remplacer la sculpture. L’idée novatrice de Chicago était que l’art pouvait transformer la conscience et donc devenir un instrument d’émancipation politique, en même temps que les stratégies « d’empowerment » et les séances de prise de conscience devenaient des outils pour produire de l’art. En déstabilisant la hiérarchie professeur-élève, les participants construisent un récit autobiographique collectif à partir de l’expérience politique d’être femme artiste. Le viol, la discrimination, l’avortement, la maternité, le lesbianisme, la masturbation, le divorce, la contraception… deviennent des espaces d’intervention aussi bien politiques que artistiques. À travers un processus de dématérialisation de l’art et d’intensification de la critique, l’apprentissage de la pratique artistique se déplace des techniques de fabrication et invention plastiques vers l’art en tant que processus d’émancipation cognitive et somatique. »
En 1972, a lieu dans une maison vouée à la démolition, au 533 North Mariposa Avenue, Hollywood, Los Angeles, l’exposition Womanhouse organisée par M. Schapiro et J. Chicago, cofondatrices du Feminist Art Program du California Institute of the Arts (CalArts).
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Womanhouse : le premier projet de pédagogie féministe réalisé au California Institute for the Arts (CalArts) par Judy Chicago, Miriam Shapiro et un groupe d’étudiant.e.s.
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Pendant l’automne de 1971, Judy Chicago et Miriam Shapiro sollicitent la création d’un Programme d’Art Féministe à l’école d’art. L’école est en travaux, elles n’obtiennent aucune réponse institutionnelle. Chicago et Shapiro s’emparent de l’idée de Paula Harper, une historienne d’art qui enseigne également à CalArts : louer une maison et faire de sa transformation le centre d’un projet féministe et d’une installation artistique collective.
Elles trouvent une maison abandonnée et vouée à la démolition dans Mariposa Street, une zone résidentielle de Hollywood. -
Pendant six semaines, un groupe de vingt-cinq femmes vivront et travailleront dans la demeure, en transformant intégralement chacun de ses espaces et de ses 17 pièces : « Le 8 novembre 1971, 23 femmes sont arrivées au 533, rue Mariposa, armées de serpillères, de balais, de peinture, de seaux, de rouleaux, de matériel de ponçage et de papier peint. Pendant deux mois, elles ont gratté les murs, remplacé les fenêtres, construit des cloisons, poncé les sols, fabriqué des meubles, installé des lumières et rénové la structure délabrée vieille de 75 ans. » (Source : Judy Chicago & Miriam Shapiro, Womanhouse Catalog Essay, 1972)
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Ainsi, du 30 janvier au 28 février, la Womanhouse a été un espace d’installations et performances artistique féministe. Judy Chicago et Miriam Schapiro encouragent leurs étudiantes à s’approprier les techniques de sensibilisation afin de générer le contenu de l’exposition. Leurs intentions étaient d’enseigner sans les règles hiérarchiques usuelles mais de manière unilatérale entre les étudiants et les enseignantes. Seules les femmes furent autorisées à visiter l’exposition le premier jour. Par la suite l’exposition fut ouverte à tout le monde. L’exposition a accueilli environ 10 000 visiteurs.
- « Ignoré pendant des années par la narration hégémonique de l’histoire de l’art, le projet de la Womanhouse apparaît aujourd’hui comme un travail indispensable non seulement pour comprendre la pratique artistique des années 70s, mais aussi pour penser le futur de la pédagogie de l’art et les relations entre architecture, performance et activisme social.
[…] Allégorie politique ou mauvaise blague de l’histoire, la première exposition d’art féministe se déroule dans [cette] vieille maison abandonnée, dans un espace domestique promis à la démolition, transformé d’abord en œuvre d’art collaborative totale puis en galerie éphémère. […] L’objectif de l’art n’est plus la production d’un « objet », mais plutôt l’invention d’un dispositif de re-subjectivation susceptible de produire un autre « sujet », une autre conscience, un autre corps.
[…] Le mépris des institutions vis à vis des pratiques artistiques et critiques féministes conduira à l’oubli et même à la destruction de l’archive de l’art féministe des années 70s : la maison de Mariposa Street, ses installations, ses peintures murales et ses modifications architecturales seront réduites en cendres pendant le mandat de Ronald Reagan. » (Beatriz Preciado, 2013)
Vickie Hodgetts, Robin Weltsch, Susan Frazier, “Nurturant Kitchen”, detail, 1972.
Camille Grey, “Lipstick Bathroom”, et, Judy Chicago, “Menstruation Bathroom”, 1972.
Sandra Ogel, “Ironing”, et, à droite, Karen LeCoq & Nancy Youdelman, “Leah’s Room from Colette’s Cherie”, 1972.
visionnez la vidéo d’un extrait de la performance “Waiting” de Faith Wilding.
à gauche : Judy Huddleston - Personal Environment. Extrait du catalogue.
à droite : Karen LeCoq - Nancy Youdelman - Leah’s Room from Colette’s Cherie. Extrait du catalogue.
à gauche : Paula Longendyke - Garden Jungle. Extrait du catalogue.
à droite : Robin Mitchell - Painted Room. Extrait du catalogue.
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- Womanhouse, Cal Arts Feminist Art program (Judy Chicago & Miriam Shapiro) par la réalisatrice Johanna Demetrakas, 1974, 47 minutes, 16 mm.
- Womanhouse est un documentaire historique prodigieux sur l’un des événements culturels féministes les plus importants des années 70 aux États-Unis. Il ne se limite pas à être le témoin de plusieurs performances fameuses telles Waiting (Attente) de Faith Wilding ou Cock and Cunt Play (La pièce de la bite et de la chatte) de Judy Chicago, ainsi que des différentes pièces de l’exposition-maison Nurturant Kitchen (Cuisine nourricière), Menstruation Bathroom (La salle de bains des règles), Nightmare Bathroom (La salle de bains des cauchemars) ou encore de l’installation Linen Closet (Placard à linge), mais retrace également les ateliers de prises de conscience collectives, les interactions avec le public, et toute l’énergie de cette époque.
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(références :)
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Le catalogue de l’exposition : https://digital.libraries.psu.edu/digital/collection/judychicago/id/7584/rec/174
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Le dvd : https://www.lepeuplequimanque.org/en/dvd/womanhouse
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la vidéo documentaire de Johanna Demetrakas : https://youtu.be/xx0ZPfLrsfk
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https://archive-magazine.jeudepaume.org/blogs/beatrizpreciado/2013/10/03/revenir-a-la-womanhouse/index.html par Beatriz Preciado en 2013.
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documentaire vidéo (Trois minutes d’art, 2020) : https://youtu.be/xRJMJXnSjCg
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Paul Dissais, Art performance et mise en jeu de la figure féminine : de la mutilation à la métamorphose des corps pour un renouveau de la pensée féministe, Université Rennes 2 Haute Bretagne, 2019.
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Palais de Tokyo, Maisons et Cabanes, 2021.
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Zoe Adam, Praxis Queer : les corps queers comme sites de création et de résistance, Art et histoire de l’art, Université de Lille, 2018.
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