LE PROJET NEUF
2023-08-31 - open summer #4 : la récap' (1)
.
.
Tout devait tenir (classiquement) en un mouchoir de poche pour le duo d’artistes (les Rohmnyz) et ça s’est terminé en un mille-feuilles in(dé)terminable (près de 40 nouveaux articles estivaux si l’on regarde bien…) pour contenir l’éventail des commentaires qui fusent autour de leur projet de ouesterne spinoza) ou, pour mieux le dénommer : de space western crépusculaire…
…‒ et là, on tombe à pic sur la présentation-annonce du tout dernier et à-peine-sorti livre de Maria Pourchet [2] au titre éponyme et qui vient recouper exactement ce que Vitara & John Rohmnyz sont en train de développer avec leur ouesterne :
- “J’entends par western un endroit de l’existence où l’on va jouer sa vie sur une décision, avec ou sans désinvolture, parce qu’il n’y a plus d’autre sens à l’existence que l’arbitraire. C’est un lieu assez nu, on s’y rend au sens du verbe “se rendre”. L’autre y est un décor et le temps dilaté. Le western se fout de son temps et de faire avec, il va contre. Ne coïncident plus l’homme et le manque mais l’homme et la plaine. Quelque chose précède toujours dans le western : une logique violemment personnelle et dérisoire, vouée à finir, faite d’ordre et de ville, de liens et d’habitude. Et de dettes. Nous en sommes là, tout au bord du western” ‒ (voir aussi : Entretien avec Marie Pourchet, 24 août 2023)…
.
-
…Citation que l’on tourne et retourne et qui pour nous semblerait poursuivre le plan de R. Brautigan, en tant qu’auteur transgenre (entendez par là une personne virtuose) capable de démarrer son histoire en western (gothique) (ou de pacotille) pour la terminer en fantastique ; glissement d’un doigt qui va damer le pion (« I want to destroy literature », dira-t-il)…
-
…Ou poursuivre d’autres plans encore, ceux de travestissement et de sophistication : allégories, métaphores, analogies, autofictionnelles, “optiques” et “hypnotiques”, telles les bizarreries de l’écriture chez l’écrivain allemand Arno Schmidt, que l’on voit pareille à une écriture “au lasso” et “à la loupe”, paraissant être menée avec le “dos de la cuillère”, entre oralité et narration vernaculaire, sans continuum (il parle d'“étyms” et de “witz”, de “traum”, etc.), évoquant de loin des far-west(s) solitaire(s) (ou pas) sur le plateau-sierra de la lande de Lunebourg ‒ Hoya Utah Phina ! après kafka zappa kaffa : c’est-à-dire pour A. Schmidt, autant la ville antique que la fleur surprenante à la robe carnée, qu’aussi le rappel joycien ("Gugurtha ! He has becco of wild hindigan." [2]) dont il ne garde que l’écho (Urtha… Utah… Utah…), et celui vernien « Si je t’entends, Phina ! » [1] ‒, et il dira plus loin que “les paysages du Far West ressemblent tous à s’y méprendre à un postérieur masculin” (là, c’est à propos de Karl May qu’il dit cela [2] [3]) ;
.
- Alors on commente : Arno Schmidt appellera cela de la “popographie” et de l'“anthropo=po=logie” : « um 1 bis 2 anthropo=po=logische Schichten tiefer liegende Probleme zu Gesichte bekommt » (trad. : Des problèmes plus profonds sont observés à 1 ou 2 niveaux anthropo=po=logiques.) (réf. Arno Schmidt, “Sitara und der Weg dorthin” (1963), III, p.57); pour être plus clair, merci de noter que Popo en allemand signifie les “fesses” ; puis évoquera, au cours des pages précédentes et celles suivantes, d'« hemisfärengrosse Hinterbacken mit den senkrecht aufsteigenden Analzone dazwischen : a monster, lovely in the Heavens » (trad. : des fesses de la taille d’un hémisphère avec la zone anale verticale qui s’élève entre les deux : un monstre, beau dans le ciel) (p.33) ; parlera d'« Herr Cules » (trad. approx. : Monsieur Cul) (p.37) et de « J’anus » (p.52) ‒ ce même Janus étant un dieu à une tête mais à deux visages opposés, gardien des passages et des croisements, divinité du changement, de la transition ‒, tout en se référant au passage à Edgar Allan Poe (« Po oder nicht Po ») (trad. : Po ou pas Po) (p.35), « Im Kulub hockt ein culus » (trad. : Dans le kulub loge accroupi un culus) (p.36) répondant ainsi à James Joyce dans “Finnegans Wake” « How culious an epiphany ! » (trad. : Quelle culieuse épiphanie !) (p.12) et lui rajoutant un : « Die Hippo=manie der Helden - (das Wort Hippologe) - Hipp=Hipp : Po=Po » (trad. : L’Hippo=mania des héros - (le mot hippologue) - Hipp=Hipp : Po=Po) (p.171) décliné en « “hypo” ; an dem zwangsläufig des “Hippo”=Pferdchen klebt : “Hoppe=hoppe=Reiter : “Hipp=Hipp=Popo !”, “Popotamus” und überjaupt ganz “Mesopotamien” » (trad. : “hypo” ; auquel se colle inévitablement le “Hippo”=cheval : “Hoppe=hoppe”=cavalier : “Hipp=Hipp=Popo !”, “Popotamus” et partout dans la “Mésopotamie”) (p.224) (rappelant le “Ride’em cowboy") , [2]) et qu’on corrigera en Mésopo=po=tamie ; jusqu’à finir par : « Grab über diesem Wasserfalle ((das ist der schon !))…. sah man eine Höhle im Gestein ((das ist sie schon))… » (trad. : tombe au dessus de cette cascade ((c’est ça !))… on a vu une grotte dans le rocher ((c’est ça))…) (p.53) …. En prolongement, Witold Gombrowicz parlait de son côté de « cuculisation » (à propos de “Ferdydurke”, 1937), ce qu’il explique par : « “Faire une gueule” à un homme, c’est l’affubler d’un autre visage que le sien, le déformer. Quand, par exemple, je traite un homme qui n’est pas bête comme un imbécile ou que je prête à un homme bon des intentions criminelles, je leur “fais une gueule”. Et la « cuculisation » est un procédé à vrai dire similaire, à cette différence près qu’il consiste à traiter un adulte comme un enfant, à l’infantiliser. » (Witold Gombrowicz, “Souvenirs de Pologne”, cycle de feuilletons écrits au début des années 60 pour la Radio Europe Libre de Munich et jamais diffusés, retrouvés en 1976).
.
- …Jusqu’aux évasions du poète John Clare, dans son “Voyage hors des limites de l’Essex”, en ignorant orthographe et ponctuation,
‒ « Journal 18 juill. 1841 - Dimanche - Senti très mélancolique - parti marcher dans la forêt l’après-midi - […] 19 Juillet - Lundi - Rien fait » (Andrew Kötting en a fait un film avec “By our Selves” (2015) qu’on a vu ici) ‒,
.
- …Comme également dans l’ouvrage de Jean-Paul (Richter), “le Voyage du proviseur Faelbel et de ses rhétoriciens au Fichtelberg” (Des Rektors Florian Faelbels und deiner Primaner Reise nach dem Fichtelberg) (1790), dans lequel il s’amuse à relater un voyage pédagogique où se multiplient des scènes grotesques dignes du roman comique (en écho au “Tristram Shandy” (1759-1767) de Laurence Sterne certainement), en mettant le doigt (bis repetita) sur les contradictions d’un projet prétendument justifié par l’expérience concrète :
‒ « Le premier matin, on avait deux voyages à faire à la fois, l’un sur la route, l’autre sur la carte, ce qui est extrêmement difficile et instructif. » (“Voyage du proviseur Faelbel”, p.6) ‒…
.
- …Que l’on résumera par un autre écho par :
‒ « […] muni d’une crête qui descend derrière sa tête, et qui est comprimée. Sa tête est d’un vert luisant, avec une petite tache blanche au front. Son corps est agréablement panaché de brun et de blanc, et cinq des plumes de ses ailes sont arquées en faux et saillantes. » ‒ ;
… extrait poignant tiré de Peter Simon Pallas, “Voyages du professeur Pallas, dans plusieurs provinces de l’Empire de Russie et dans l’Asie septentrionale” (Tome huitième, 1793-1794, p.42) (Source), traçant un portrait assez exact du desperado Spinoza Spinola a.k.a. Spleenoza.
.
.
Bref, si western il y a, c’est en tant que dispositif parmi des dispositifs.
.
Car Tavara & John Rohmnyz, à l’inverse de tout procédé régulier scientifique, travaille sans s’arrêter aux procédés habituels de classification et de catégorisation ; leur travail d’assemblage, de démultiplication de points de vue, de dérangement (face à l’ordre imposé), hors-cadre et hors-piste, d’un faire craquer de l’intérieur, d’une mise en récit, critique et auto-critique [1], est leur participation à l’élaboration du MIP, le Musée Invisible de La Pébipologie [2] [3], qui en quelque sorte est un musée sans œuvres, sans œuvres préhensibles, [2] [3] [4], un musée “de papier” [5] et un musée sans murs [6] (comment montrer l’immontrable ? comment montrer l’invisible et le peu-visible ? comment montrer un espace vivant ?) que l’on pourrait présenter en tant que premier musée d’arts dans la ville de Saint-Nazaire qui pour l’instant n’en a pas.
.
.
.
- open summer
- chantier
- le P
- pébipologie
- séjour
- western
- ouesterne
- schmidt
- clare
- jean paul
- brautigan
- lunebourg
- kotting
- sterne
- vergès
- spleenoza
- gombrowicz