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2019-10-31 - On s'installe : espaces en commun - 89 et 105
la room (au 89) :
- accueils, séjours
- pique-niques
- discussions
- tests
- présentations
- workshops
- projections cycle des cinémas
- soirées (ex. cycle des performances, concerts, lectures, …)
- CAC (conseils d’administration collégiale)
- …
et au 105 :
archives : on a retrouvé une première image du 105 lors de notre arrivée :
la maison 105 en commun.
Ce sont des espaces en commun, autant pour les activités collectives liées à l’organisation sur place et à des propositions artistiques et de groupe, que des espaces pour tester en solo et à l’échelle 1 des parties d’une réalisation en développement ou encore comme des lieux de tournage et de captation, etc.
Svetlana Alpers, dans son livre “Les Vexations de l’Art” (2005), dans un passage sur Francis Bacon, parle de définir “l’atelier comme un instrument expérimental”. Elle continue : “À compter du XVIIème siècle, […] les artistes européens se mirent à traiter l’atelier comme un instrument fondamental de leur art. Pour d’aucuns, ce n’était pas simplement le lieu où ils travaillaient, mais une condition de travail. L’atelier-instrument est une invention qui eu la vie longue : de l’atelier comme boîte à lumière de Pieter Janssens à l’atelier comme état d’esprit”. On pourra noter comment l’auteur fait référence à la camera obscura : “un trou équipé d’une lentille qui, par l’action de la lumière, donne une image du monde : c’est ainsi qu’on comprenait à l’époque le mécanisme de l’œil. Deux messieurs dans une chambre noire tendent une surface sur laquelle est projetée [inversée] l’image du paysage extérieur” ; ou encore à la salle de travail : “À l’occasion, l’atelier pouvait bien grouiller de gens. Mais ce qui est représenté comme expérience d’atelier est la vue d’un solitaire. […] La fiction entretenue par la peinture d’atelier est qu’un.e peintre travaille seul.e. Cela ne signifie pas que l’art soit coupé du monde, mais que la condition dans laquelle la relation se forge est imaginée comme une condition solitaire”. Elle ajoute : “Une réponse à la solitude de l’atelier consiste à rechercher de la compagnie” (ex. L’Atelier du peintre, allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique (1855), tableau de Courbet, au Musée d’Orsay).
Elle complète : “Les réalités de l’atelier ne sont pas seulement ce qui y est observé (comment le monde est assemblé [au sens de la connotation scientifique]), mais l’expérience visuelle et, souvent, corporelle ou phénoménologique que l’artiste en fait (comme cela est expérimenté). Ce que le peintre, dans son tableau, fait du monde ainsi expérimenté est central pour l’atelier en tant que site expérimental. […] Qu’est-ce qui ne trouve pas sa place dans l’atelier ou qu’est-ce que l’atelier exclut ? […] L’atelier devient un lieu où mener des expériences avec la lumière qui ne sont pas possibles dans une lumière universelle diffuse ou avec la lumière solaire directe du monde extérieur. La lumière d’atelier est une lumière contrainte de diverses manières. Et c’est aussi la lumière dans laquelle est situé l’artiste”.
(Pour info : comme chez Vermeer, “le peintre est dans la lumière qu’il peint”, d’autant plus que chez lui, “il ne suppose pas la lumière, il l’étudie” ; et, chez Picasso, il “laisse une ampoule électrique suspendue dans Guernica” ; et, si on regarde le Déjeuner sur l’herbe de Manet, la modèle “Victorine Meurent se dévêtit dans l’atelier, le paysage derrière elle est clairement un décor d’atelier” ; “Manet garde ses nus à l’intérieur”.).“La distance à laquelle peint l’artiste est une réalité d’atelier. […] L’atelier est un endroit où l’on introduit des choses afin que [l’artiste] en fasse l’expérience.” (“la création est une fabrique d’illusions”, et ajoute-t-on et suppose-t-on, non verbale).
On pourra reprendre une de ses remarques et l’interpréter dans le sens de ce questionnement de ce qu’est un atelier : l’atelier est amphibologique, comme dans une peinture, “il a l’air d’un vrai ciel au milieu du tableau”. Svetlana Alpers continue : “Une histoire acceptée de la peinture de paysage tourne autour de la situation du moment où les peintres se libèrent de l’atelier et de ses conventions et sortent pour faire des tableaux en extérieur, dans le vrai monde” (sur le motif).
“On connaît l’histoire de Monet creusant un fossé pour abaisser sa grande toile afin de saisir le jeu d’ombre et de lumière “réel” sur les robes des femmes dans un jardin (mais nous pourrions rappeler que ses Nympheas ont été peints à l’intérieur d’un atelier spécialement construit). […] Qu’adviendrait-il si le peintre proposait de faire l’expérience d’une chose qu’on ne saurait expérimenter dans l’atelier comme si on l’expérimentait dans l’atelier ? […] On pourrait parler de l’atelier non plus comme d’une retraite mais comme adoption d’une condition différenciée d’une autre forme de peinture. Le choix du peintre devient : atelier ou pas. […] [Par exemple] Cézanne manifeste la condition de l’atelier comme si elle était dans ou de l’esprit. […] [Un autre exemple] est celui du photographe de la nature et météorologue C.T.R. Wilson [qui] construisit la chambre à nuage afin de reproduire en laboratoire les phénomènes atmosphériques du monde réel ; son hypothèse était que les noyaux de condensation étaient des ions électriques. Dans sa condensation de nuages artificiels, son appareil expérimental imitait la nature.”
Et à l’encontre de Gombrich qui exprimait que “l’artiste travaille comme un homme de science. Ses œuvres existent non seulement pour elles-mêmes, mais aussi pour faire la démonstration des solutions qu’on peut apporter à certains problèmes” (réf.), Svetlana Alpers indique que “le lien atelier-laboratoire se focalise plutôt sur les contraintes régissant l’acquisition de savoir. Ce sont les conditions changeantes de la connaissance (picturale, par exemple), plutôt que son progrès, que l’on suit.” Elle précise : “À compter du XVIIème et jusqu’au cœur du XXème siècle, en gros de Vermeer jusqu’à Matisse et Picasso, une succession de peintres européens ont pris l’atelier pour le monde. Ou, pourrions-nous dire, l’atelier est le lieu où on fait l’expérience du monde […]. C’est sans précédent. […] Toutefois, l’atelier semble avoir perdu son attrait. Le personnage du peintre à l’atelier paraît relever du passé, voire un peu suspecte. C’est l’art produit pour ou sur la place publique — des travaux de terrassement et de la sculpture ou des assemblages publics à la photographie, à la vidéo, au graffiti et au travail produit sur les murs d’une galerie — qui est à la mode. […] Le défi lancé à l’atelier dans les temps récents n’est pas le modèle de la Factory de Warhol, mais le grand monde, l’extérieur. "
Plus loin, elle relève que “le mot français atelier vient de l’ancien français astelle (attelle en français moderne), désignant le morceau de bois utilisé pour aveugler les chevaux, d’où un harnais ou, plus exactement, un joug […].” En prolongeant, nous pourrions interroger l’atelier comme lieu de retraite (plus loin que seulement de retrait).
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