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2020-07-09 - une apparition : dans les miroirs
[…] Je jetai sur la peinture un coup d’œil rapide, et je fermai les yeux. Pourquoi, — je ne le compris pas moi-même tout d’abord. Mais, pendant que mes paupières restaient closes, j’analysai rapidement la raison qui me les faisait fermer ainsi. C’était un mouvement involontaire pour gagner du temps et pour penser, — pour m’assurer que ma vue ne m’avait pas trompé, — pour calmer et préparer mon esprit à une contemplation plus froide et plus sûre. Au bout de quelques instants, je regardai de nouveau la peinture fixement.
Je ne pouvais pas douter, quand même je l’aurais voulu, que je n’y visse alors très nettement ; car le premier éclair du flambeau sur cette toile avait dissipé la stupeur rêveuse dont mes sens étaient possédés, et m’avait appelé tout d’un coup à la vie réelle. […] À la longue, ayant découvert le vrai secret de son effet, je me laissai retomber sur le lit. J’avais deviné que le charme de la peinture était une expression vitale absolument adéquate à la vie elle-même, qui d’abord m’avait fait tressaillir, et finalement m’avait confondu, subjugué, épouvanté. […]
Edgar Allan Poe (1809-1849), Le Portrait ovale, trad. Charles Baudelaire.