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2020-04-16 - histoire : Hockney
(David Hockney, Do remember they can’t cancel the spring, peinture numérique, 2020)
Ce jeudi matin 16 avril, à 9h précises, le Théâtre du Châtelet et France Inter, ont diffusé en direct sur la radio publique ainsi que sur leurs réseaux sociaux, une lettre et une oeuvre inédites du peintre anglais David Hockney, créées pendant le confinement que le monde entier est en train de vivre.
Lettre du peintre David Hockney (16 avril 2020)
à Ruth Mackenzie (directrice artistique du Théâtre du Châtelet)
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Chère Ruth,
Nous sommes actuellement en Normandie, où nous avons séjourné pour la première fois l’année dernière. J’ai toujours eu en tête de m’organiser pour vivre ici l’arrivée du printemps. Je suis confiné avec Jean-Pierre et Jonathan, et jusqu’ici tout va bien pour nous. Je dessine sur mon iPad, un medium plus rapide que la peinture. J’y avais déjà eu recours voilà 10 ans, dans l’East desquelsYorkshire, quand cette tablette était sortie. Avant cela, j’utilisais sur mon iPhone une application, Brushes, que je trouvais d’excellente qualité. Mais les prétendues améliorations apportées en 2015 la rendirent trop sophistiquée, et donc tout simplement inutilisable! Depuis, un mathématicien de Leeds, en Angleterre, en a développé une sur mesure pour moi, plus pratique et grâce à laquelle j’arrive à peindre assez rapidement. Pour un dessinateur, la rapidité est clé, même si certains dessins peuvent me prendre quatre à cinq heures de travail.
Dès notre découverte de la Normandie, nous en sommes tombés amoureux, et l’envie m’est venue de peindre et dessiner l’arrivée du printemps ici. On y trouve des poiriers, des pommiers, des cerisiers et des pruniers en fleur. Et aussi des aubépines et des prunelliers. Dans l’East Yorkshire, nous n’avions qu’aubépines et prunelliers. Nous sommes tombés sur cette maison au grand jardin - moins chère que tout ce que nous aurions pu trouver dans le Sussex - comme une rencontre attendue et espérée depuis longtemps.
J’ai immédiatement commencé à dessiner dans un carnet japonais tout ce qui entourait notre maison, puis la maison elle-même. Ces créations furent exposées à New York, en septembre 2019. Mais étant fumeur, je n’ai pas d’attirance pour New York et n’y ai jamais mis les pieds.
Nous sommes revenus en Normandie le 2 mars dernier et j’ai commencé à dessiner ces arbres décharnés sur mon iPad. J’y suis en ce moment, avec Jonathan et Jean-Pierre. Depuis que le virus a frappé, nous sommes confinés. Cela ne m’impacte que peu, mais Jean-Pierre (Gonçalves de Lima, son bras droit, NDLR) et Jonathan, dont la famille est à Harrogate, sont plus affectés.
Qu’on le veuille ou non, nous sommes là pour un bout de temps. J’ai continué à dessiner ces arbres, desquels jaillissent désormais chaque jour un peu plus bourgeons et fleurs. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.
Je ne cesse de partager ces dessins avec mes amis, qui en sont tous ravis, et cela me fait plaisir. Pendant ce temps, le virus, devenu fou et incontrôlable, se propage. Beaucoup me disent que ces dessins leur offrent un répit dans cette épreuve.
Pourquoi mes dessins sont-ils ressentis comme un répit dans ce tourbillon de nouvelles effrayantes? Ils témoignent du cycle de la vie qui recommence ici avec le début du printemps. Je vais m’attacher à poursuivre ce travail maintenant que j’en ai mesuré l’importance. Ma vie me va, j’ai quelque chose à faire: peindre.
Comme des idiots, nous avons perdu notre lien avec la nature alors même que nous en faisons pleinement partie. Tout cela se terminera un jour. Alors, quelles leçons saurons-nous en tirer? J’ai 83 ans, je vais mourir. On meurt parce qu’on naît. Les seules choses qui importent dans la vie, ce sont la nourriture et l’amour, dans cet ordre, et aussi notre petit chien Ruby. J’y crois sincèrement, et pour moi, la source de l’art se trouve dans l’amour. J’aime la vie.
D.
Amitiés, David Hockney
(Merci à Sonia Marques) (lien France Inter) (article Figaro)
(David Hockney, «No. 139», 25 mars 2020, dessin sur iPad (détail))
- Les jonquilles ont leur place dans la poésie anglaise. «I Wandered Lonely as a Cloud / That floats on high o’er vales and hills,/ When all at once I saw a crowd, / A host, of golden daffodils;/ Beside the lake, beneath the trees,/ Fluttering and dancing in the breeze.», écrit ainsi en 1804 le poète William Wordsworth (J’erre, solitaire comme un nuage . Qui flotte au-dessus des vallons et des collines / Quand soudain je vis une foule / Un groupe de jonquilles d’or / À côté du lac, sous les arbres, / Flottant et dansant sous la brise).
(David Hockney, La Grande Cour, suite de 24 panneaux peints, Pace Gallery, NYC, 2019)
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- Catalogue des histoires pébipologiques :
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