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2019-09-23 - Chantier : le lac dans le 89 - ép.6-2 - épisode poétique
- Le lac déborde et se poursuit aussi là :
- le lac original du chantier
- la playlist des “comment chante-t-on le lac ou the lake”
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LE LAC
Au printemps de mon âge ce fut mon destin de hanter de tout le vaste monde un lieu, que je ne pouvais moins aimer, — si aimable était l’isolement d’un vaste lac, par un roc noir borné, et les hauts pins qui le dominaient alentour.
Mais quand la Nuit avait jeté sa draperie sur le lieu comme sur tous, et que le vent mystique allait murmurant sa musique, — alors — oh ! alors je m’éveillais toujours à la terreur du lac isolé.
Cette terreur n’était effroi, mais tremblant délice, un sentiment que, non ! mine de joyaux ne pourrait m’enseigner ou me porter à définir — ni l’Amour, quoique l’Amour fût le tien !
La mort était sous ce flot empoisonné, et dans son gouffre une tombe bien faite pour celui qui pouvait puiser là un soulas à son imagination isolée — dont l’âme solitaire pouvait faire un Éden de ce lac obscur.
— Edgar Allan Poe, The Lake. To - - (1827), trad. Stéphane Mallarmé.
Source : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Lac_(Les_Po%C3%A8mes_d%E2%80%99Edgar_Poe)
(texte original anglais en bas de cette page)
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Le Lac
C’est une mer, un Lac blême, maculé d’îles Sombres, et pullulant de vastes crocodiles Qui troublent l’eau sinistre et qui claquent des dents. Quand la nuit morne exhale et déroule sa brume, Un brusque tourbillon de moustiques stridents Sort de la fange chaude et de l’herbe qui fume, Et dans l’air alourdi vibre par millions ; Tandis que, çà et là, panthères et lions, À travers l’épaisseur de la broussaille noire, Gorgés de chair vivante et le mufle sanglant, À l’heure où le désert sommeille, viennent boire ; Les unes en rasant la terre, et miaulant De soif et de plaisir, et ceux-ci d’un pas lent, Dédaigneux d’éveiller les reptiles voraces,
Ou d’entendre, parmi le fouillis des roseaux, L’hippopotame obèse aux palpitants naseaux, Qui se vautre et qui ronfle, et de ses pattes grasses Mêle la vase infecte à l’écume des eaux.
Loin du bord, du milieu des roches erratiques, Solitaire, dressant au ciel son large front, Quelque vieux baobab, témoin des temps antiques, Tord les muscles noueux de l’immuable tronc Et prolonge l’informe ampleur de sa ramure Qu’aucun vent furieux ne courbe ni ne rompt, Mais qu’il emplit parfois d’un vague et long murmure. Et sur le sol visqueux, hérissé de blocs lourds, Saturé d’âcre arome et d’odeurs insalubres, Sur cette mer livide et ces îles lugubres, Sans relâche et sans fin, semble planer toujours Un silence de mort fait de mille bruits sourds.
— Charles Marie René Leconte de Lisle, Derniers Poèmes, 1895.
Caspar David Friedrich, Landschaft mit Gebirgssee, Morgen (Paysage au lac de montagne, matin), 1823-1835.
The Lake. To - -
In spring of youth it was my lot
To haunt of the wide world a spot The which I could not love the less- So lovely was the loneliness Of a wild lake, with black rock bound, And the tall pines that towered around.
But when the Night had thrown her pall Upon that spot, as upon all, And the mystic wind went by Murmuring in melody- Then–ah then I would awake To the terror of the lone lake.
Yet that terror was not fright, But a tremulous delight- A feeling not the jewelled mine Could teach or bribe me to define- Nor Love–although the Love were thine.
Death was in that poisonous wave, And in its gulf a fitting grave For him who thence could solace bring To his lone imagining- Whose solitary soul could make An Eden of that dim lake.
— Edgar Allan Poe, The Lake. To - - (1827)
Andy Warhol, Beach Scene, polaroid, 1975.
(source : ‘You need to let the little things suddenly thrill you’ — when Warhol went back to nature : https://www.christies.com/features/andy-warhol-better-days-10416-1.aspx)