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2023-05-01 - La Maison d'Edith et d'Ada
- Vera Nabokov et son mari Vladimir Vladimirovich qui en ont après les papillons, Six Mile Creek, Ithaca, N.Y., 1958.
— et l’image au-dessus et en vignette : exemple de design (des orchidées) que Nabokov avait envoyé en 1969 à l’éditeur Penguin pour la couverture d’Ada ou l’Ardeur (source : ici, Cattleya labiata (ou Crimson Cattleya, the Ruby-Lipped Cattleya) ; Ada : voir chapitre 8, 56.07 : “mauve shades of Monsieur Proust” ; voir ici l’image complète.
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La maison d’édition d’Édith et d’Ada
(Entre Projet Neuf et cONcErn, Saint-Nazaire et Cosne d’Allier)
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La maison d’édition d’Édith et d’Ada procure une masse critique à un espace vague. C’est avec ardeur qu’elle aimante nos yeux et nos lectures vers le non-visible et le moins-lisible voire vers l’extra-lucide. Et alors, loin de plomber et de concurrencer, elle se met à devenir devant nos yeux un accélérateur de publications mystérieuses en plein air.
Car cette maison d’édition n’a aucune ambition de faire commerce et industrie de livres. Comme elle n’a pas non plus l’intention d’en vendre le plus possible et en grande quantité pour asseoir une notoriété à tout prix : en temps d’orage et sous une météo calamiteuse, le mieux n’est-il pas de naviguer en voiles réduites ? L’esquif filera plus vite et demeurera davantage safe. Sur le pont, Édith dira que cette maison ne s’évertue nullement à se montrer efficace face au monde et aux embruns de l’édition et de la distribution. De fait, à sa suite, Ada au terme de sa caracolade complètement crazy et exsudante au sortir de la soute expire d’un trait sans transition : « no business at all, pfff..pfffft… ».
Toujours est-il que cette maison d’édition a, parmi ses visées, la volonté d’ancrer une forme collective et solidaire dans la réalité économique qu’elle va fatalement faire surgir : dadadi-dadada, en deux-trois tours de madison et de scottish, la ronde prend forme, les anges débutent. Bras dessus bras dessous, Ada et Édith prennent également en compte les nécessités naissant des différents contenus et ouvrages lorsqu’ils, après avoir été mis à jour et au jour, s’imbriquent et se corrèlent avec de nouveaux contextes. De même, pfuuttt pfuttt, croisements des pieds et des pas, elles s’attachent aux besoins et exigences des vives aspirations de création de chacun.e des membres et des anges de cette maison. Ainsi cette dernière trouvera le sens des équilibres idoines à chaque édition qu’elle soutient et qu’elle produit, étraves sans entraves qu’elles remembrent en ouvrages, tout en recueils et en albums, tant pour ce qui concerne leur fabrication que pour leur mode d’occurrence, de plaisance et de présence.
La ronde continue et s’effile. Car on dira qu’elle est à la pointe. À la pointe de tous les stylos et stylets, comme sous l’encre de beaucoup de cartouches et de tonnerres. Puisque, ce que cette maison d’édition des dites Édith et Ada veut dire est qu’il vous faudra, lectorat, par la lecture, par la danse et la navigation, suivre la pointe et la bille du bic, d’Édith à Ada, d’Édith et d’Ada. Tout comme il vous faudra bien les écouter, cesédites et césadas, dessiner de nombreuses images, autant mentales que graphiques, que ce soit sur la surface des pages ou dans l’épaisseur de leurs puissants volumes. Puisqu’eux, livres et livrets, simili esplanadas, cascadas, armadas, par-delà les typos, ne cesseront de se déplier et de se déployer devant vos yeux, tapisseries sorties de nada, fumées émanant de puits énigmatiques ; il faudra également ausculter et écouter avec beaucoup d’examen l’encre sécher et léviter après qu’elle ait quitté ses réservoirs et ses buses.
Édith et Ada réservent bien des surprises puisque de surcroît elles suggèrent que les livres qu’elles publient seront plus que des livres seulement et que chacun d’entre eux se montrera en cas singulier. Ainsi, sans se lier et sans s’y fier, on parlera de feuilles volantes (y est-ce béenne ?), et, lorsqu’ils sont brochés, de pierres à sucer. Leur intention est à coup sûr de publier des livres qui font performer, et c’est là leur performance à elles ! Et eux, par la lecture, par l’oralité, par leurs circulations imprévues et improbables, par leurs envols et leurs effets de planeurs et de soudains piqués : sont-ils ainsi frisbees, kazoos ou yoyos, ou bien ricochets ?
Dorénavant cette maison se promet d’accompagner les formes artistiques de haute voltige et d’intense voltage que prendront ces étranges vivres et ces livres espiègles pour la plupart.
Soutez ! Soutez ! Édith et Ada. Sans démesure ni demi-mesures. Néanmoins, elles, éditées adaptées, sont bien embarrassées de stocker et de distribuer : elles se refusent délibérément à compiler et à compulser un trésor qui leur permettrait de tirer et d’imprimer à grand nombre et à moult tirages ; à dessein elles se détournent des frets et des palettes, des camions, des trains, des avions et de tout titre de transport, préférant les échanges de main à la main à « l’effet papillon », un effet tel qu’il épand ailleurs nos plaisirs d’ici et qui, en retour, les fait tout aussi bien grandir là. Elles cherchent un équilibre équitable parmi des choix qu’elles discutent en permettant à chaque fois de les rétablir de bon aloi et avec un bien meilleur alliage du côté des autrices et des auteurs (sans oublier les lectrices et les lecteurs). En plus d’être trampolines, elles sont bien évidemment balançoires.
Car aussi, comme on le dit, leurs livres ne peuvent pas rester que livres, ni que des livres en livrées, puisqu’ils sont formes, boites, ressorts, trajectoires, livres-fleuves, bouquins-phares, grimoires-de-loire-déboires-à-l’œil et quoi d’autre ? Qu’en sait-on finalement ? Car cette maison n’accueille que des mavericks, rebelles et autres artistes économes de l’art qui pour sa part ne les a pas économisé.e.s, et, surprise, ne prévoit pas ce qu’elle publie, et encore moins qui. Leur programme, à Édith et à Ada, restera à hue et à dia. Cependant on y rencontre un comité de lecture et de rerererelecture fait de lecteurs relecteurs et de lectrices relectrices traducteurs et traductrices rerelectrices, déjà sociétaires et coopérant.e.s. d’une société évadée qui performe et relecturlure, et la structuration de cette maison, aussi minimale soit-elle, propulse les publications en temps voulu avec une trésorerie tout-à-fait ad hoc, et ce, selon l’intensité des vents et la fréquence des pluies.
Ainsi, en tant que zone thermale hydro-sensible (qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse avec tous ses dérèglements et bien entendu ses facondes livresques), l’inédite maison accueille des personnes du coup non-littératrices, des dodos en quelque sorte, ces animaux disparus qui, ressuscités par Carroll, distribuent du soufre et tous types d’arômes, des personnes qu’on voit plutôt tel.le.s des artistes alité.e.s dans les ratures et les accidents, des obnubilé.e.s des processus d’écriture trampoline, des enfant.e.s, des dyslexiques, des retraité.e.s, des omniscient.e.s de toutes les façons et coûte que coûte.
Leur profession n’est sans doute pas de littérature mais ces personnes y baignent et y rôdent, et leurs livres font faire de grands sauts. Cette maison est un véritable plongeoir. On parle dès lors de livres déments démons à lier, « zinzembres et cinamomes ». Car en rebondissant à partir d’eux, tel Nabucco Vladumur qui en flottant hypnagogiquement les traverse et les dépasse, on voit plus de choses au-delà de la ligne d’horizon, là-bas au loin des sanatoriums, plus loin que « belle air » et « claire fontaine », que « forestz de sangliers et espritz et œilz animaulx des loups » !
Dès lors, la langue peut bien fourcher. Un défaut de prononciation fera dire qu’une maison d’éditions est une maison « des dits sons » comme elle est éditrice « d’exhistoires » et d’escapades, puisque les silences et les propagations sonores, à jouer, à performer, à étendre, sont leurs résonances évidentes et cette maison veut les faire entendre et les faire voir. Des livres à performer et des performances livrées, voilà la belle affaire ! La maison est une cochlée. Et elle l’est jusqu’au tympan entre le linteau et les voussures.
On la regarde, cette maison d’Édith et d’Ada, sous toutes ses coutures et ses reliures. C’est une maison cacochyme, cacodylate, salicacée : aux fondations et aux murs de glaise et de sels odorants d’iode et d’humus mêlés aux papeteries, des peuples liés, salis, cassés, des saules, des osiers, des paniers de soul, de blues, de folk,… Mais encore ?
Parce que cette maison d’édition coopère toujours, fait coopérative comme locomotive de motivations et d’intentions alternatives ; elle est CUMA (Coopérative d’Utilité éditoriale pour ses Membres Artistes) ! Ressource à activer, fonds à cultiver, machine à chauffer et à épandre ! Elle est plage d’écumes et bocage. Elle est Cumes aussi [semblable à cette antique région là autour de l’antre napolitaine de la Sibylle, elle, sœur d’Édith et d’Ada, première fiction de Virgile]. Et en effet, regardons bien Édith et Ada, elles ont la puissance d’une machine, d’un outil et d’un instrument. Telles une roue à aubes, une proue à l’aube, ou bien une moue lobée et lovée parmi les muettes buttes. Elles jouent des imprimantes, des savoureuses et des salivantes. Elles impressionnent et elles solarisent. Leur but n’est au final ni l’édition ni la littérature, mais l’art. Un art édité qui s’adapte, dites donc.
Et sur le terrain, les rayons et les échelles d’une pareille maison paraissent ceux d’un espace vivant et vivable. N’est-elle pas elle-même un espace biographique outdoor ? Août dort ? Bel été ! Plein air ! Dès lors dehors, Édith et Ada hébétées comptent prendre l’air comme prendre l’eau ; elles errent de gauche à gauche, de haut en haut, d’oblique en diagonale (en crabe donc ?) ; elles prennent ainsi des chemins étroits faits d’embûches et d’embuscades, évitent toutefois de buter, font des roulades avant, co-optent des gredins et des bougres de l’art, choisissent des caps étranges, assez pirates pour intriguer, s’encanaillent sans vergogne, se marrent à gorge déployée, se retroussent les blouses, et courent plus vite avant la marrée.
Et, désamarrées comme rarement il est possible, elles pourraient bien devenir une maison d’édition de publications très plastiques et très flottantes et virevoltantes, autrement dit constituée d’ouvrages et de réalisations d’une plasticité extrême qui auraient cette capacité incroyable de sans cesse former, se former, déformer, se déformer, réformer, se réformer au contact d’autres choses. Alors à la croisée de nombreuses disciplines et pratiques, elles pourraient bien devenir photo- et thermo-sensibles, tout autant sympathiques qu’évanescentes et de la sorte tenter ce que peut être une performance littéraire (c.a.d. : une littérature performée « par ses livres » mêmes) : autrement dit encore plus actes et actions que books (alambiqués).
Et puisqu’il faut toujours insister : cette maison d’éditions, celle d’Édith et d’Ada, défend et protège un art en tant que bien commun (comme il en est de l’air et de l’eau), un art qui Édith se forme et Ada se module, au contact de ses environnements, interagit avec eux, les perturbe un peu comme un vif et bref ricochet dans l’eau qui étonnamment, à l’œil nu, reste suspendu et dure longtemps, un art qui percute comme des sangliers, qui file comme des cerfs, puis qui éclaire ces mêmes environs, de façon délicate, à la lampe-torche (comme aussi peuvent le faire les livres-lampes de poche). Cette maison sera donc courant d’air comme courant d’eau, courant de textes et de publications, comme courant d’art.
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Proverbe d’Édith et d’Ada :
« dans l’Allier œillé, il y a des allié.e.s lié.e.s à l’œil, yeah ! ; puis à la pointe velours de La Loire courbe, voir pointer bée La Loue qui court, pffft ! »
Clin d’œil à la rivière L’Œil à Cosne d’Allier et hommage à l’atrabilaire Jean-Léon Gérôme “La Vérité sortant du puits armée de son martinet pour châtier l’humanité” (1896) (info 1 ; info 2 ), et à Gustave Courbet, “La Source de La Loue” (1864).
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- Spinoza Spinola, leresection h du site du P, 1661, retranscrit par Peter Junof, 2023.
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