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2023-07-03 - prolégomènes III-b au ouesterne : zapper kafka à kaffa (marcel)
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Études pébipologiques.
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chronologie des prolégomènes :
- I - franz kafka spinoza
- I-bis - franz scalpa spinoza
- II - frank zappa spinola
- III-a - zapper kafka à kaffa
- III-b - zapper kafka à kaffa (marcel)
- III-c - zapper kafka à kaffa (longtemps marcel 1)
- III-d - zapper kafka à kaffa (longtemps marcel 1)
- III-e - zapper kafka à kaffa (horace)
- III-f - zapper kafka à kaffa (roman-photo)
- III-g - zapper kafka à kaffa (commentaires)
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Un menu :
- Début de la randonnée “Longtemps”
- L’incipit proustien (1)
- Proustisme, Bergsonisme
- L’incipit proustien (2)
- L’incipit proustien (2)
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Début de la randonnée “Longtemps”
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L’incipit proustien (1)
« Les romanciers prétendent souvent dans une introduction qu’en voyageant dans un pays ils ont rencontré quelqu’un qui leur a raconté la vie d’une personne. Ils laissent alors la parole à cet ami de rencontre et le récit qu’il leur fait c’est précisément leur roman. »
— (Marcel Proust, À la Recherche du temps perdu, Tome 6, Albertine Disparue (1925), chap.I, p.164)
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Prenons un exemple : la première phrase de “À la recherche du temps perdu” de Marcel Proust.
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. »
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Marcel Proust, corrections sur dactylographie placard Gallimard, septembre 1908
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Dans la foulée, citons-en un second :
car, trente ans plus tard, pour “L’Étranger” (1942), Marcel Camus trouvera : « Aujourd’hui, maman est morte ».
Correspondant exactement à ce qui, dans les épreuves d’écriture, les versions stratifiées et les ébauches successives et continuellement recommencées de Marcel Proust, se montre être des vecteurs de La Recherche, là où la pensée théorique et la pratique romanesque — après, pour lui, un long arrêt entre 1899 et 1907, suite à l’inachèvement d’un premier roman, Jean Santeuil (1895-1899), huit années seulement peuplées de quelques articles et de deux traductions, avant de se lancer durant les trois ans suivants dans l’entreprise d’un roman-essai-œuvre non publié, Contre Sainte-Beuve (1908-1910), puis trois autres années d’élaboration et d’écriture jusqu’à la première publication du volume 1 de La Recherche en 1913 poursuivie par celle du dernier volume en 1927 paru après sa propre disparition en 1922 — pensée et pratique qui s’alimentent du vécu autobiographique devenant récit et travail d’écriture par le rappel incessant d’images mentales et sensibles :
— comme la perte de la mère (en 1905) causant le chagrin du “petit garçon” (aux sobriquets : « mon petit jaunet », « mon petit serin », « mon petit benêt » ou « mon petit nigaud » [1]) suivie par la perte d’Albertine (Alfred Agostinelli dont l’avion sombre en 1915 au large d’Antibes) (alors on note le “Maman retrouvée !” dans le carnet 1, fo. 5v, 1908 ; avant “Albertine disparue” ; dans la culpabilité et l’ambivalence d’être assassin de sa mère comme de son amant) ;
— puis un second vecteur avec la conscience de la différence (l’homosexualité ; les invertis ; les “hommes-femmes” dans Sodome et Gomorrhe ; “aucun genre ne lui convient plus : c’est qu’il les veut tous” nous dit Bernard de Fallois, dans la préface au Contre Sainte-Beuve, 1954) ;
— ce qui marquera le point de bascule au milieu de la Recherche, animée de rêves (“la vie rêvée”) et de “coucher” (son état de santé ; la respiration étant liée à la séparation et la disparition) ainsi que de récurrences de “patterns” épiphaniques (les “côtés”, l’adieu aux aubépines, les trois arbres, le baiser du soir, la poésie des noms, le boitement sur les pavés inégaux, etc.) ; autant de retours, de feedback, de péripéties et de réminiscences que d’outils narratifs.
Nota : Roland Barthes éprouvera aussi des vecteurs analogues (le deuil de la mère, le neutre, le vivre ensemble) jusqu’à son entrée, via, lui aussi, la Recherche, dans le roman (la préparation au roman, Vita Nova) [2].
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Albert Camus et Marcel Proust
Roland Barthes, esquisse de la “Vita Nova”, Source
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Incipit [3] camusien après celui proustien, qui, si on digressait, répondrait presque parfaitement et en différé à celui du sixième volume de La Recherche (“Albertine Disparue” ou “La Fugitive”, 1925) :
« Mademoiselle Albertine est partie ! »
Puis d’autres incipits encore peuvent être rappelés (la liste serait sans fin) :
— « Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. » (Vladimir Nabokov, Lolita, 1955) ;
— « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar. » (Gustave Flaubert, Salammbô, 1862) ;
— « Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant. » (Michel Butor, La Modification, 1957) ;
— « Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? » (André Malraux, La Condition Humaine, 1933) ;
— « Je vous raconterai une autre aventure plus étonnante… » (Witold Gombrowicz, Cosmos, 1965) ;
— « Ce mardi-là, je m’éveillai au moment sans âme et sans grâce où la nuit s’achève tandis que l’aube n’a pas encore pu naître. » (Witold Gombrowicz, Ferdydurke, 1937) ; — « Je souhaiterais que mon père et ma mère, ou bien tous les deux, car ils y étaient en conscience également tenus, eussent songé à ce qu’ils faisaient quand ils m’engendrèrent ; […] » (Laurence Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme, Tome I, 1759) ;
— « Alice, assise auprès de sa sœur sur le gazon, commençait à s’ennuyer de rester là à ne rien faire. » (Lewis Carroll, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, 1865) ;
— « C’est fini. La plage de Big Sur est vide, et je demeure sur le sable, à l’endroit même où je suis tombé. » (Romain Gary, La Promesse de l’aube, 1960) ;
— « Un matin, au sortir d’un rêve agité, Grégoire Samsa s’éveilla transformé dans son lit en véritable vermine. » (Franz Kafka, La métamorphose, 1912-1915) ;
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Proustisme, Bergsonisme
On dit que Proust avait lu Matière et Mémoire de Bergson en 1910. Bergson qui écrivait : “Un être humain qui rêverait son existence au lieu de la vivre tiendrait sans doute ainsi sous son regard, à tout moment, la multitude infinie des détails de son histoire passée.”
Si l’on s’appuie sur la distinction bergsonienne entre mémoire volontaire et mémoire involontaire définie dans Matière et Mémoire (1896), il est en effet très tentant de déclarer, comme le fait le critique Henri Massis en 1937 : « Proust semble avoir personnellement expérimenté certaines théories bergsoniennes relatives à la mémoire ».
Néanmoins, Marcel Proust dans une lettre de mars 1922 (l’année de sa mort) déclarait à Camille Vettard : « C’est peut-être, à la réflexion, ce sens spécial qui m’a quelquefois fait rencontrer — puisqu’on le dit — Bergson, car il n’y a pas eu, pour autant que je peux m’en rendre compte, suggestion directe » (Correspondance de Marcel Proust, Paris, Plon, 1970-1999, t. XXI, p. 77).
De son côté, Bergson faisait remarquer dans une lettre au docteur Charles Blondel qui venait de publier (1932) La psychographie de Marcel Proust et qui analysait clairement l’œuvre de l’écrivain sous l’angle pur de la psychologie que : « Sur les rapports qu’il peut y avoir entre le “Proustisme” et le “Bergsonisme”, il me semble que vous avez trouvé la note juste » (Henri Bergson, 1932, in Henri Bergson Correspondances, éd. par André Robinet, Paris, Presses Universitaires de France, 2002, p.1359).
Mais remarquons que chez Bergson le temps est “perdu”, alors que Proust annonce qu’il est “retrouvé”.
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L’incipit proustien (2)
Bref, revenons à Marcel Proust.
L’incipit tel que l’on connaît est incisif, intrigant, paradoxal. C’est une punchline. Ravageuse. Elle a l’air d’avoir toujours été là, qu’elle solidifie tout, et que c’est elle qui fût la première phrase écrite, avant tout le reste. Alors que très souvent, longtemps l’incipit se pose très doucement. Mais elle paraît immuable, cette phrase, et on pense qu’à partir de là (comme lors de la lecture), elle va tout ouvrir et tout permettre.
On n’ose plus y toucher ; alors qu’on se trompe. Rien n’est jamais définitif. Quitte quelquefois à revenir sur elle, cette première phrase (celle de Proust a changé plusieurs fois), à la modifier, à l’amender, en fonction de ce qui va s’écrire par la suite.
Gardons cet exemple (celui de Mr. Proust), et étudions les modifications successives de la phrase-clé, de cette fameuse phrase première qui entrouvre tout (et qui ne se ferme jamais), celle de la première page de “Du Côté de chez Swann” (1913) du premier volume de La Recherche, ce “roman de la mémoire involontaire”, cette œuvre qui “a pour sujet sa propre rédaction” (d’après Jean-Yves Tadié, Proust et le Roman, 1971).
Ainsi, après Laurence Sterne et son “traité d’obstétrique” (Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme, 1759-1767) [2], ah eh bien, lançons-nous nous-même dans la génétique :
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Marcel Proust, corrections sur dactylographie placard Gallimard, 1913
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- Sommaire de Pébipologie et ouesterne :
- Le début de ouestern spinoza (et les 9 pages suivantes)
- partie de récit 1
- partie de récit 2
- Utile randonnée ? partie 1
- Utile randonnée ? partie 2
- Les conditions du ouesterne
- Hombre no ! Hombre que si !, partie 1
- Hombre no ! Hombre que si !, partie 2
- Pébipologie et ouesterne, la récap
- Dans la sierra
- Impression du ouesterne spinoza
- prolégomènes 1 au ouesterne : Franz Kafka Spinoza
- prolégomènes 1bis au ouesterne : Franz Kafka Spinoza
- prolégomènes 2 au ouesterne : Frank Zappa Spinola
- prolégomènes 3a au ouesterne : zapper Kafka à Kaffa
- prolégomènes 3b au ouesterne : zapper Kafka à Kaffa (marcel)
- prolégomènes 3c au ouesterne : zapper Kafka à Kaffa (longtemps marcel 1)
- prolégomènes 3d au ouesterne : zapper Kafka à Kaffa (longtemps marcel 2)
- prolégomènes 3e au ouesterne : zapper Kafka à Kaffa (horace)
- prolégomènes 3f au ouesterne : zapper Kafka à Kaffa (roman-photo)
- prolégomènes 3g au ouesterne : zapper Kafka à Kaffa (commentaires)
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