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2020-01-20 - zone : La Pébipologie, désexposition - (2)
Pébipologie
une exposition collectivement virtuelle
par Tavara Fuente Jorp & Peter Junof
une proposition dingue pour BIP en Belga
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Une présentation de la Pébipologie par Rosa Eslavida
part.2
Rosa Eslavida nous expose les méthodes de La Pébipologie.
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1.1. Une méthode
De là, de cette réflexion sur l’animation et les visions dans les espaces, naît une méthode qu’iels (Tavara Fuente Jorp & Peter Junof = TFJ & PJ) conçoivent et appellent curieusement la Pébipologie : entre le P réel et celui fictif de son urbanisation (le quartier du Moulin du P), et une proposition artistique à faire naître d’une sollicitation d’exposition ou d’événement, dans un autre lieu, dans la lointaine Belga, Belgique, Belgium, Belgien, Belgica, une proposition qu’iels voient comme une façon de distendre entre projet et exposition.
Car en effet : Peut-on exposer un projet ? Peut-on projeter une exposition ?
En naîtront sans doute un catalogue (sans exposition) et, en plongeant dans le réel, une exposition sans vernissage ni finissage, dans un protocole inversé…
1.2. Des lieux
Mais qu’est-ce qu’un lieu ? quand les choses ont-elles lieu ?
TFJ & PJ relisent attentivement un ouvrage : LIEU de Tacita Dean et Jeremy Millar. Et iels digressent.
On a pu imaginé dans l’histoire de l’art, à partir de la peinture à la Renaissance, que ces bouts de paysages entrevus entre quelques arches ou en plan de fond derrière les épaules de héros et d’héroïnes, pouvaient correspondre et répondre à des lieux réels et que probablement ces lieux réels étaient les vrais sujets de l’art. Aussi ce que nous en voyons encore aujourd’hui, dans ces peintures, modifient toujours nos réalités et les lieux où nous vivons. TFJ & PJ relèvent aussi que les œuvres d’art qui se relient à des lieux sont innombrables, elles les créent même. Un paysage est donc une terre imaginaire transformée…
1.3. Tentative
Allez, tentons quelque chose… parlons et activons les œuvres allographes, interprétons davantage le monde, faisons passer la fiction dans le réel (tant aujourd’hui c’est le mouvement inverse qui prévaut)…
Néanmoins, suivons encore Jeremy Millar et Tacita Dean et commentons un peu : il est commun de voir que l’attitude commune face aux lieux est de les percevoir secondaires en feignant de les préserver aux dépens des œuvres d’art et aux dépens de nos imaginaires.
Toute entreprise urbaine, tout geste urbanistique, ne voit que des particularités utiles en négligeant le plus important et en ne mettant en avant que les principes économiques de la destruction, de la terraformation, et de la construction nouvelle (il devient plus facile de le détruire, ce lieu, cet endroit, car on ne peut pas pleurer la disparition de ce dont a toujours nié l’existence.).
Il faudrait rappeler ici et juste à propos ce qu’écrivait le philosophe taoïste Zhuāngzǐ : Tout le monde connaît l’utilité de l’utile, mais personne ne sait l’utilité de l’inutile ; et la reprise qui a suivi plusieurs siècles plus tard par Miguel Benasayag : La radicalité qui passe par la fragilité exige qu’on soit capable de défendre la vie, non au nom d’excuses délirantes d’utilité, mais bel et bien en assumant l’évanescence même de cette fragilité, c’est-à-dire l’utilité de l’inutile.
Et en effet les artistes n’ont pas les mêmes contraintes ni les mêmes regards que les promoteurs immobiliers. Un terrain, un terre-plein, n’est pas seulement une “toile de fond”.
1.4. Sur le terrain
De cette manière, iels (TFJ & PJ) travaillent sur ce site, le MdP ou le P, en l’employant comme surface de projection et en utilisant la Pébipologie comme véhicule de transfert et d’amplification entre les lieux : nos questions se téléportent-elles ? que se passe-t-il lorsque nous ne sommes pas dans le lieu, au 89 ?
Néanmoins :
- on y voit un lac, plus loin un île, des berges (nous-mêmes au 89, ne sommes-nous pas sur un rivage ?) ; tout cela dans de grandes distances, à l’échelle d’amples dimensions… mais que verrons-nous plus loin ?
- pourrait-on dire que dans les ateliers (du 89), les fenêtres et les ouvertures sont des reposoirs ; on travaille sur du discret, de l’ajustement, et lorsque le regard se lève, croise la fenêtre, c’est une région qui apparaît, une région nouvelle…
1.5. Dé-exposition
Ainsi ce travail de Tavara et Peter se présente sous la forme originale d’une dé-exposition dans laquelle, salle après salle, fictive, fictionnelle, originale, entre les seuils de visibilité et d’invisibilité, entre sous-exposition et sur-exposition, le visiteur aura à recevoir et faire l’expérience du réel.
Pour cela, iels proposent un désystème de dialogue pseudonymal et libératoire entre les artistes qui au libre-lieu P9 sont au sein même du site, de la région, de la plate-forme :
- ceux-là correspondant sans doute à cette vision qui a tant attiré Roy Neary (un entrepreneur en électricité, qui devint sculpteur, car en effet, obsédé par l’image subliminale d’une forme ressemblant à une montagne il commença à essayer de la reproduire en sculpture ou en peinture): Devils Tower — que l’on a pu voir dans un fameux film de Steven Spielberg, qui, après John Ford et bien d’autres cinéastes, utilise un lieu comme décor et objectif d’un film : https://fr.wikipedia.org/wiki/Devils_Tower ;
et à ce propos : le plus important dans un film de cinéma, ne sont-ce pas ses décors ? n’est-ce pas eux que finalement on retient et qui influencent les attitudes de ceux et celles qui s’y trouvent ?).
1.6. Désystème
Ce désystème allographe [1] permet d’imaginer entre eux et elles (les artistes) des réappropriations, des interprétations libres, des improvisations, des échanges et des déjeux (hors des noms, des styles, des économies et des réseaux habituels), un désystème qui désamorce les pressions habituelles du champ de l’art.
En effet, iels (TFJ & PJ) tentent quelque chose au-delà et en deça des vicissitudes du marché de l’art et des industries culturelles ; iels le répètent : l’art n’est ni consommable ni un fongible, il ne s’épuise pas ; tout comme iels militent contre le coincement de l’art dans la culture et le divertissement lucratif consummator comme aussi son coincement dans la sur-évaluation symbolique — ce coincement autrefois appelé par Marcel Duchamp, le Coin de Chasteté ; ce terme peut être ici compris comme une métaphore du néocapitalisme et néolibéralisme qui n’amènent et n’induisent qu’une privation volontaire d’expériences esthétiques :
- alors que tout lieu, toute œuvre, toute action de spatialisation de l’œuvre dans le lieu, sont une expérience esthétique.
- [1] comme celle-ci : LNNÉOPY LIAMÉ LIAÉTMÉ ÉLIARIT LIAVQ LIÈDCD ACAG ACKC (« Hélène est née au pays grec, elle y a aimé, elle y a été aimée, elle y a hérité, elle y a vécu, elle y est décédée assez âgée, assez cassée »), élaborée par le Chevalier de Boufflers.
1.7. Véhicules
Comme véhicule de transfert, de transport et de vision, le duo de curators, qui par là comme Roy Neary deviennent artistes, imagine le déplacement et le glissement dans et entre les différentes spatialités comme un “bus” :
- et, en effet, le “bus” comme navette conviviale et heureuse, canoë des coopérations, a été un des vecteurs de la sortie de nombreuses aliénations : le Magical Mystery Tour (des Beatles), les Village Concerts et Journeys du Scratch Orchestra (et des Rites, séries d’improvisations impulsées par Cornelius Cardew), le bus comme laboratoire musical pour Frank Zappa et The Mothers lors de leurs tournées de ville en ville, etc. — “Presque immédiatement chacun dans le car se mit à taper des mains, des pieds, à chanter et à claquer des doigts en cadence, pendant que George [Duke] battait sur les sièges à n’en plus pouvoir (il a toujours beaucoup de rythmes en lui dont il veut se défaire, sur les portes d’hôtel, le dos de quelqu’un ou n’importe où)." — (Urban Gwerder à propos de la tournée en Allemagne de Frank Zappa, 1975).
1.8. Glissements de terrain
Ici, au MdP, auP, au 89, au P9, Libre-Lieu et lieux des réels et des déréalités, on ne gère ni les étalements ni les n+1, n+2, n+x : on amplifie les étendues et on observe les glissements de terrain. Et tel un Tardis du XXIème siècle, l’espace y est plus grand qu’il n’y paraît (comme il en est avec une œuvre d’art ; il s’agira effectivement pour TFJ & PJ d’envisager le P9 comme une œuvre).
Suivant à la fois Henri Lefebvre et sa production de l’espace (la pensée spatiale ; l’étude de l’espace comme produit, dans lequel Lefebvre a décrit l’espace de son époque comme aliéné par le mode de production capitaliste bureaucratique et l’impossibilité pour les usagers de maîtriser les propriétés de leurs espaces de vie ; pour Henri Lefebvre, l’espace réel est celui de la pratique sociale, autrement dit l’espace en train de se faire) et prolongeant les plus audacieuses promenades et stases hypnagogiques et psychotroniques, le duo de curators (TFJ & PJ, iels) tente de continuer à leur manière à approfondir et à alléger avec humour les sillons tracés lors du XXème siècle :
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avec ce qu’avait commencé Harald Szeeman dans Quand les attitudes deviennent formes (en témoignant d’une nouvelle sensibilité à la notion de l’attitude de l’artiste dans le processus de création) ;
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et Seth Siegelaub, en présentant physiquement un catalogue d’exposition comme étant l’exposition, January 5-31 1969, pour laquelle il avait loué des bureaux vides à Manhattan pour exposer des « idées », des processus d’imaginations qui supplantaient la matérialisation effective de l’œuvre d’art : au cours de cette exposition, Siegelaub avait souligné l’importance du catalogue (« l’exposition consiste principalement dans les idées communiquées par celui-ci »), qui se caractérisait aussi par son aspect inhabituel (un classeur à anneaux, une sorte d’amoncellements d’idées un peu anarchique) renvoyant à la fonction première du lieu d’exposition ;
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tout comme aussi ce que Joseph Beuys a creusé avec sa vision de la sculpture sociale : sa vision du potentiel de l’art à transformer la société et sa description d’un concept élargi de l’art (la société dans son ensemble doit être considérée comme une grande œuvre d’art à laquelle chacun peut contribuer de manière créative) (ce qui serait à re-questionner) : “chaque versant de l’activité humaine, même éplucher une pomme de terre, peut être une œuvre d’art, du moment que c’est un acte conscient” (in ‘An interview with Joseph Beuys,’, Willoughby Sharp, published in ‘Artforum,’ November 1969; as quoted in Six Years: The Dematerialization of the Art Object from 1966 to 1972, Lucy R. Lippard, University of California Press, 1973, p. 121) ;
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et ce qu’Allan Kaprow a fondé dans sa vision et sa pratique de l’art et la vie confondus.
1.9. On en est là
En 2014, le DeYiStudio de Shanghai déclare dans son manifeste qu'il n’y a plus lieu de faire des expositions, et ceci il n’y a que la création artistique qui peut le dire. Le DeYiStudio continue : “Il n’y a objectivement plus aucune nécessité d’exposer. Il s’agit simplement, dès maintenant, d’expérimenter d’autres modalités d’implémentation de l’art en tant que pratique du monde”. TFJ & PJ ne peuvent qu’abonder dans ce sens.
Voici donc aujourd’hui un premier cahier, mis en ligne et que vous trouverez dans les articles qui suivent, listant des œuvres réalisées ou en cours de réalisation par les artistes suivi.e.s par TFJ & PJ : ce qui permet d’entrevoir la spatialisation virtuelle des liens que pourront activer les visiteurs de cette désexposition.
Rosa Eslavida
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Epilogue :
Quelques jours plus tard, le P9 reçoit la réponse de la Biennale de l’Image Possible : le projet de Tavara Fuente Jorp & Peter Junof n’a pas été retenu. Il ne pourra donc pas se réaliser dans ce cadre, ni voir le jour.
- Les résultats de l’appel de la Biennale de l’Image Possible 2020
Néanmoins le projet ne sera nullement abandonné ou mis dans un tiroir ; loin de là, puisqu’en effet il va prendre une ampleur insoupçonnée et une dimension qui va lui donner un caractère très particulier : celui d’être à la fois oeuvre, dispositif et processus. Iels vont ainsi continuer de développer ce projet et le nourrir continuellement au fil des mois et au fil des années à partir d’observations précises tout en s’appuyant sur ce qui se passe réellement au 89 : sur ce qui se déroule sur le site, donc, du P, et sur ces terrains.
La Pébipologie va donc vite devenir intenable, en générant et en aimantant de plus en plus d’artistes et d’attention autour d’elle. Puisque loin d’être une science de l’art, ou une nouvelle vague de la façon de faire de l’art aujourd’hui dans une ère libérale (et non dans une ère de libération et d’émancipation), on y verra une turbine incessante dont le moteur restera expérimental tout en abordant des choses très quotidiennes et plutôt banales : la part de création en chacun.e d’entre nous.
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revenir à… : Part.1 la présentation de La Pébipologie
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à suivre… : Part.3 les artistes dans La Pébipologie
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